Les pièges de la rénovation dans le bâti ancien

DÉFI - L’enjeu est monumental. Pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050 -autant dire demain-, la France doit rénover son parc immobilier. Y compris son patrimoine ancien, autrement dit tout ce qui a été construit avant la deuxième moitié du XXe siècle. Si cette rénovation est bonne pour la planète, elle ne l’est pas toujours pour le bâti ancien qui réclame quelques égards. 

Par Christophe Demay, journaliste

 

Le vocabulaire a son importance. Quand on évoque le « bâti ancien », Gilles Alglave, président de l’Association Maisons paysannes de France préfère parler de « réhabilitation » plutôt que de « rénovation ». Voire de « restauration » lorsque le bâtiment se trouve dans une zone protégée. La nuance sémantique peut sembler subtile, mais elle a son importance. La transition énergétique dans l’ancien doit être pensée différemment. 

Pourtant, le thermomètre de la performance énergétique, le fameux DPE, ne fait aucune distinction. Gilles Alglave ne mâche pas ses mots. « Nous avons développé des outils qui se veulent universels, quel que soit le bâtiment. C’est stupide, car les modes de fonctionnement ne sont pas du tout les mêmes dans le bâtiment contemporain et dans le bâtiment ancien. L’outil DPE est profondément contestable. »

Résultat, le bâti ancien se trouve largement pénalisé sur l’échelle énergétique. Les statistiques de l’Ademe[1]parlent d’elles-mêmes : un tiers des maisons sorties de terre avant 1948 se trouvent aujourd’hui flanquées d’un F ou d’un G. C’est trois fois plus que celles construites après cette date. De même, 27 % des immeubles d'avant 1948 sont classés en F ou G, contre seulement 4 % pour ceux construits après cette date. Pour le DPE, plus c’est ancien, moins le logement est performant, et plus il a de chances d’être étiqueté de passoire thermique.

 

Un parc ancien pas si énergivore

Pour Gilles Alglave, ce raccourci est fâcheux, car il contribue à dévaloriser injustement le bâti d’avant 1948. Le parc ancien est pourtant bien loin d’être aussi énergivore que le DPE ne le prétend. Preuve à l’appui. 

Au début des années 2010, Maisons paysannes de France a participé à l’étude Batan (pour bâti ancien) menée avec le Cerema[2] et l’Ademe. Un travail tout ce qu’il y a de plus scientifique. Sur un panel de bâtiments allant du XVe au début du XXe siècle, sélectionnés à travers diverses régions climatiques, en ville comme à la campagne, l’étude devait observer le comportement thermique des constructions anciennes. 

Les performances énergétiques du bâti ancien sont donc loin d’être aussi médiocres qu’on ne le croit. « Sur le temps long, avec des mesures au pas horaire, bien plus abouties que ne peut l’être l’actuel DPE, l’étude a montré que ces biens anciens n’étaient pas dans les catégories les plus basses où ils se trouvent souvent classés, mais plutôt dans des classes énergétiques D, voire C et parfois presque au même niveau que la RT 2012 », explique Gilles Alglave.

Au-delà des considérations patrimoniales et architecturales, le bâti ancien témoigne d’atouts pas toujours suffisamment mis en valeur. En 2023, les sénateurs de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication en relevaient quelques-uns dans leur rapport[3] : l’inertie procurée par des parois épaisses, la ventilation naturelle ou « le caractère respirant des matériaux utilisés et des maçonneries et sa conception optimisée en fonction de l’orientation ou de l’implantation des pièces (pièces de service au Nord, pièces de vie au Sud, ouvertures côté Sud, parois plus épaisses au Nord) ».

Le bâti ancien témoigne déjà de solides vertus avec des consommations énergétiques souvent inférieures aux bâtiments construits plus tard durant les Trente Glorieuses, et un confort d’été qui rend souvent inutile l’installation d’une climatisation énergivore. Après tout, la terre, le bois, la pierre ont cette capacité naturelle à lutter contre les fortes chaleurs, bien mieux que certains isolants comme les laines minérales. 

 

L’ancien logé à la même enseigne

Puisque le diagnostic n’est pas juste, comment le remède appliqué pourrait-il l’être ? Pour Gilles Alglave, les recommandations et propositions de travaux qui émergent du DPE ou de l’audit énergétique ne sont souvent pas appropriées. Souvent par manque de formation des professionnels chargés de réaliser ces deux prestations. Le bâti n’aurait peut-être pas besoin d’une rénovation profonde et surtout pas celle qu’on imagine aujourd’hui avec un « prêt à isoler » industrialisé. « On ne parle pas d’isolation qui est propre à l’architecture moderne, mais d’amélioration des performances thermiques. » 

La rénovation ne fait cependant aucune distinction. À l’exception des monuments historiques exemptés du DPE, le bâti ancien avec ses 11 millions d’habitations est logé à la même enseigne. Aucun traitement de faveur, la réglementation issue de la loi Climat et résilience lui assène les mêmes objectifs. En fait, aucune disposition n’existe aujourd’hui pour le patrimoine non protégé, sauf lorsque ces travaux font courir un risque de pathologie du bâti. 

 

Des rénovations qui font des dégâts 

Cette rénovation standardisée peut parfois faire plus de mal que de bien. Gilles Alglave ne compte plus les exemples. Ici, un mur en pierre recouvert d’un doublage intérieur en polystyrène, une isolation thermique par l’extérieur sur une maison en pans de bois, des fenêtres anciennes jetées à la benne pour être remplacées par du PVC… 

Bien au-delà de l’esthétique, cette rénovation industrialisée risque d’entraîner des pathologies parfois sévères dans le bien. Parce que le fragile équilibre du bâtiment aura été rompu. « La maison ancienne réagit avec son environnement et vit très bien tant qu’on ne vient pas la perturber », rappelle le président de Maisons paysannes de France. « Le premier cancer qui guette le bâti ancien, c’est le développement de points d’humidité qui n’existaient pas auparavant. » Une humidité qui va aussi favoriser le développement des moisissures et autres champignons, parfois dévastateurs pour le bâtiment, à l’instar de la terrible mérule. Au cours des dernières années, les experts en pathologies du bois ont déjà remarqué une hausse des infestations de champignons, avec parmi les explications des isolations mal mises en œuvre avec des matériaux inadaptés. 

Le risque n’est pas seulement pour la construction, il existe aussi pour les occupants. Dans des maisons ventilées naturellement, une isolation mal pensée et non couplée avec un système de VMC correctement dimensionné peut entraîner une détérioration de la qualité de l’air intérieur souvent synonyme d’allergies pour les occupants. 

 

Biosourcés et géosourcés

Patrimoine et transition écologique ne sont cependant pas incompatibles. Mais la réhabilitation dans l’ancien doit être réfléchie et pensée de façon différente. « Il faut arrêter de stigmatiser l’ancien. Un peu comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les anciens bâtissaient déjà des maisons bioclimatiques, avec des ressources locales, en circuit court, poursuit Gilles Alglave. Ce n’est pas un sentiment de nostalgie, c’est plutôt une source d’inspiration pour la construction moderne aujourd’hui. On n’oppose pas le passé à la modernité, on a besoin du passé pour nourrir le présent. »

 « Je ne dis pas qu’il faut construire comme les anciens, mais nous devons nous en inspirer en utilisant les matériaux biosourcés et géosourcés », plaide le Président de Maisons paysannes de France. Plutôt qu’une laine minérale, par exemple, mieux vaut privilégier un enduit à base de chaux et de paillettes de lin qui viendra diminuer cette sensation de paroi froide durant l’hiver et améliorer encore le confort d’été. Une recette déjà utilisée par les anciens à la différence qu’ils préféraient les poils d’animaux aux paillettes de lin. Mais cela peut aussi être du chanvre, du bois, de la paille, l’ouate de cellulose… « Les ressources existent, il suffit de les valoriser et de mettre en place des filières. »

Ces solutions, qui font appel à des savoir-faire devenus confidentiels, restent souvent bien plus coûteuses qu’une isolation classique à l’aide de laine minérale ou de polystyrène. Malheureusement, les aides financières octroyées, MaPrimeRénov’ en tête, ne font aucune distinction pour encourager à une rénovation respectueuse du bâti ancien. 

Un propriétaire va plutôt changer ses fenêtres, bénéficiant ainsi d’aides, plutôt que les faire restaurer, travail qui sera bien plus onéreux et pour lequel il ne bénéficiera d’aucun subside de l’État. Le réemploi avec un bilan carbone très favorable est pourtant essentiel en matière de rénovation. La situation bouge toutefois, une proposition de loi[4], si elle va jusqu’au bout, compte encourager la restauration des menuiseries pour éviter d’envoyer au rebut d’anciennes portes et fenêtres, parfois séculaires. 

La rénovation énergétique du parc immobilier doit ainsi préserver le cachet de l’ancien. « Même si l’essentiel du bâti ancien n’est pas protégé au titre du code du patrimoine, il n’en revêt pas moins un intérêt en conférant à nos paysages leur cohérence architecturale, leur identité et leur typicité et en étant le reflet d’époques et de styles variés », résumait en 2023, le rapport d’information du Sénat. Et c’est aussi cette richesse extraordinaire qui participe à l’attrait de notre pays.  

 

Cadre : Bâti ancien, de quoi parle-t-on ? 

Le bâti ancien ne remonte pas forcément à Mathusalem et n’est pas nécessairement un monument historique. Il est souvent bien plus récent qu’on ne l’imagine. En matière de construction, on parle de « bâti ancien » pour tout ce qui est sorti de terre avant 1948. 

Avant cette date charnière, la construction demeurait traditionnelle privilégiant les matériaux du terroir : la brique rouge et la tuile pour le nord de la France, la pierre et l’ardoise en Touraine, le bois dans les zones de montagne, etc. Les matériaux étaient donc différents selon les régions, mais aussi les techniques, parfois ancestrales. La construction ancienne se distingue aussi par des murs plus épais, une ventilation naturelle…

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction puis la démographie galopante des Trente Glorieuses ont imposé de construire massivement et rapidement. On a privilégié un mode davantage industriel. C’est l’avènement du béton avec des modes de construction qui apparaissent désormais moins différenciés d’une région à l’autre. 

 

PATRIMOINE

Il faut sauver le bâti ancien

Les acteurs du patrimoine se sont fortement mobilisés depuis la loi Climat et résilience qui a rendu le DPE tout-puissant. Huit associations se sont réunies au sein du G7 Patrimoine. La mobilisation a payé, car depuis 2023, le ministère de la Culture jusqu’à présent écarté a désormais son mot à dire dans le grand chantier de rénovation énergétique des logements. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi avec le bâti ancien. 

On note quelques évolutions positives. L’audit énergétique a été revisité en 2024 afin de prendre davantage en considération le confort hydrique des bâtiments, le Cerema a édité un guide début 2025 pour accompagner les diagnostiqueurs et les auditeurs dans leurs recommandations et propositions de travaux afin qu’elles soient davantage pertinentes, notamment dans l’ancien. 

Le sujet est aussi devenu politique. Le rapport d’information au Sénat publié en juin 2023 a nourri une récente proposition de loi. Son ambition est claire, elle vise à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien. Entre autres, elle propose de modifier le Code de la construction et de l’habitation pour y glisser la notion de bâti ancien. Déjà adoptée -à l’unanimité !- au Sénat en mars, la proposition de loi doit à présent être examinée à l’Assemblée nationale. « Les sénateurs ont compris qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt général », se félicite Gilles Alglave. Les choses bougent enfin même si cela ne va pas toujours assez vite aux yeux des acteurs du patrimoine.

 

[1] Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie

[2] Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement

[3] Rapport d’information n°794 fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication au Sénat sur le patrimoine et la transition écologique.

[4] Proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien.