Strasbourg entre en phase de tassement

Le marché du neuf et de l’ancien reste dynamique, mais rencontre des freins liés à la période pré-électorale et à la longue phase de montée des prix. L’évolution a le mérite d’éviter une surchauffe.

Les logements se lèvent à l’Est à Strasbourg… et c’est du nouveau. Située entre les franges orientales du centre-ville et le Rhin, la Zac des Deux-Rives est appelée à constituer le moteur du développement urbain en général et de l’habitat en particulier pour l’agglomération alsacienne dans les prochaines années.  Sur ses 75 hectares reconquis aux friches portuaires, elle vise la construction de 4 000 logements en vingt ans. Les premiers permis devraient être délivrés ce printemps. Elle entend prolonger la dynamique enclenchée par les parcelles plus proches du centre-ville de son projet urbain d’appartenance, également dénommé Deux-Rives et étendu sur 250 hectares. Voilà de quoi rééquilibrer, dans une certaine mesure, la carte du dynamisme immobilier qui n’a cessé depuis des décennies de se déplacer vers l’ouest, le nord ou le sud. Et faire émerger, enfin, une « métropole à 360 degrés » qui ne serait plus bloquée par sa frontière naturelle. L’autre point de développement se pose sur l’ « Archipel » : ce quartier d’affaires dans le secteur du Wacken voisin des institutions européennes confirme d’année en année son visage vers la mixité : plusieurs centaines d’appartements y seront livrés entre le milieu de cette année et la première moitié de la prochaine décennie.

Strasbourg rejoint ainsi les communes périphériques dans l’effort de relance de la construction neuve qu’a impulsé la communauté urbaine, devenue Eurométropole, à travers son PLH (programme local de l’habitat) de 2009. « La cadence de production de 3 000 logements par an (dont la moitié sociaux) qui avait alors été fixée est maintenue, et bien plus : sur la période 2014-2018, nous en sommes à une moyenne annuelle de 4 320 », annonce Syamak Agha Babaei, le vice-président pour l’habitat de l’Eurométropole.

Le neuf reflue

Le phénomène va-t-il durer ? Rien n’est moins sûr, à entendre les professionnels. L’entrée en période pré-électorale amène de nombreux maires à mettre le frein sur les nouveaux projets. Classique, le scénario est particulièrement marqué cette fois-ci. « Nous avons reçu les premiers signaux en ce sens dès la rentrée dernière, soit un an et demi avant le scrutin municipal ! Les réservations ont chuté de 28 % sur l’Eurométropole depuis un an. Cette baisse, l’une des plus importantes en France,  nous ramène aux niveaux d’il y a trois ans », relève Bruno Béni, président de la FPI Grand Est. Selon le promoteur,  « c’est clairement un problème d’offre qui se pose ». En conséquence, les prix sont tirés vers le haut. Pour les transactions sur les appartements neufs, le prix médian du mètre carré à Strasbourg même a augmenté de 7,6 % sur un an au 30 septembre dernier, selon la chambre des notaires du Bas-Rhin. Les pics ont concerné la partie ouest du faubourg de Neudorf en limite sud du centre-ville (+ 14 %) et le quartier plus huppé de la Robertsau à l’est (+ 9,4 %). Le reste de l’Eurométropole affiche une baisse de 0,9 % qui résulte des reflux à Bischheim et Schiltigheim au nord (de l’ordre de 6 % chacun) et Eckbolsheim à l’ouest (-5,5 %), alors qu’Illkirch au sud (+ 10 %) et Vendenheim au nord (+ 7,7 %) ont particulièrement bien tiré leur épingle du jeu.

Entre quartiers, l’écart de prix se creuse doucement

L’ancien a lui aussi connu un reflux : le nombre de transactions recensé par les notaires baisse de 16 % sur un an, à fin novembre 2018.  D’une année à l’autre, les prix augmentent de 2 à 3 %, « il s’agit d’une moyenne qui cache des disparités plus ou moins  importantes en fonction des quartiers strasbourgeois et des communes périphériques.  Sur le  long terme, on observe un écart qui se creuse, lentement, modérément mais sûrement, entre des quartiers prisés dont les prix continuent de progresser et les autres qui stagnent voire régressent un peu », observe Daniel Scheid, président de la chambre des notaires du Bas-Rhin. Le centre historique enregistre régulièrement des transactions à 4 000 euros/m2 et la Neustadt, l’extension urbaine de type haussmanienne de la fin du XIXè siècle pendant la période allemande, continue à culminer du côté des 3 500 euros. Alors que les faubourgs populaires de la Montagne-Verte et du vieux Neuhof en restent à 1 500 euros. Ceux de la Meinau,  de Koenigshoffen ou du vieux Cronenbourg peuvent grimper à 2 000 euros. « La carte du standing des quartiers a en fait très peu bougé : selon les capacités financières du candidat, on peut presque déterminer à l’avance où il peut acheter, et cela depuis 50 ans ! », relate Gérard Durr, responsable local de la Fnaim. « Dans ce contexte de stabilité, les valeurs varient surtout selon que le bien ait fait l’objet ou pas de sa première ou seconde rénovation. Si c’est le cas, on passe alors par exemple de 1 800 à 2 200 euros/m2 », poursuit-il.   « L’immobilier ancien a doublé de valeur en quinze ans à Strasbourg. Aussi le tassement que l’on observe est bienvenu si l’on souhaite que tous les candidats à la propriété puissent continuer à trouver dans la ville les biens en rapport avec leur revenu », ajoute Me Scheid.

Loyers homogènes

L’existence de quartiers à plus « petits » prix présente un avantage : ils offrent de meilleures perspectives de rendement à l’investissement locatif. Pour autant, les temps ne sont pas les plus favorables à la location, hormis le facteur, non négligeable, des taux d’intérêt toujours bas. Dans le neuf, le zonage Pinel s’est très largement recentré sur l’Eurométropole… « à un degré qui n’a d’équivalent que la Bretagne en France. C’est un élément perturbateur du marché. Le tassement de celui-ci est plus marqué pour l’investissement que pour la résidence principale », souligne Bruno Béni. 

Le niveau des loyers présente une certaine homogénéité, sur laquelle l’âge des immeubles et leur localisation influe peu : selon le dernier observatoire (2017) de l’agence d’urbanisme Adeus, l’écart de loyer médian se limite à 1,4 euros/m2 en fonction de l’ancienneté et il n’oscille qu’entre 1 et 1,8 euro entre la zone centrale et la plus périphérique pour les 2 à 4 pièces. L’exception vient des studios, pour lesquels le différentiel passe à 3,5 euros. 

Au global, ce loyer médian amorce un reflux qui pourrait être durable.  Jusqu’à remettre en cause la classification de Strasbourg en zone tendue et son corollaire, le pré-avis de résiliation de bail ramené à un mois ? Pour les élus, Syamak Agha Babaei en tête, « rien ne le justifie, les demandes locatives ont augmenté de 22 % en cinq ans ». Cette demande est moins portée par la croissance démographique globale (+ 0,5 % par an entre 2011-2016 ce qui a rétrogradé Strasbourg de la 7ème à la 8ème place des villes françaises derrière Montpellier) que par les évolutions sociétales vers les familles monoparentales et les personnes seules. Celles-ci confirment le 2 et 3 pièces comme cœur de marché. Mais le débat sur ce degré de « tension » s’amorce.

A l’assaut de la vacance

Fortement impliquée dans la résorption de la vacance – elle anime un jeune réseau national des agglomérations sur le sujet - l’Eurométropole cherche à montrer l’exemple. En 2016, elle était confrontée à 3 300 logements inoccupés depuis au moins trois ans, dont les deux tiers  à Strasbourg.  Le dispositif qu’elle a alors mis en place repose sur le volontariat des communes. Il consiste à identifier les propriétaires concernés et les causes de leur inaction et à leur proposer la remise sur le marché dans un cadre bien fixé. D’un côté, l’Eurométropole et les communes les mettent en relation avec les structures d’intermédiation locative pour les rassurer après de potentielles expériences négatives de dégradations, d’impayés. Ils peuvent bénéficier de subventions pour les travaux, à hauteur de plus de 50 % de leur montant. Mais il leur faut entrer dans le conventionnement Anah  avec plafonnement du loyer et réservation aux locataires modestes, selon les conditions de ressources du logement social. Une dizaine de communes s’est engagée dans le processus. Environ 200 logements longtemps vides sont revenus dans le marché en deux ans et demi, pas très loin de l’objectif de 100 par an.

3 Questions à Me Gérard Weber, président de la Chambre syndicale des propriétaires immobiliers du Bas-Rhin

« Nous ne sommes pas dans une zone tendue »

La classification de Strasbourg en zone tendue se justifie-t-elle selon vous ?

Non : la  tension entre offre et demande de location se concentre sur quelques mois de juin à septembre, pour le logement étudiant. Hors cette période, c’est le calme plat. Dès lors, la résiliation de bail avec seulement un moins de pré-avis place le propriétaire en difficulté pour relouer, elle crée une vacance injustifiée, artificielle. J’ai déjà alerté plusieurs fois la collectivité sur ce phénomène, y compris par écrit, mais sans succès.

Quelles autres problématiques rencontre le propriétaire dans l’agglomération de Strasbourg ?

Le niveau des loyers ne génère que rarement une rentabilité correcte. Il est satisfaisant dans le cas des grands appartements, à condition que ceux-ci soient dédiés à de la colocation. Nous avons observé, d’ailleurs en 2018, une légère baisse de 0,8 % du loyer médian, en contraste avec une hausse annuelle de 2 % depuis 2000. Cette inversion de tendance sera-t-elle durable ? J’ai tendance à le penser. Or dans le même temps, les montants de travaux nécessaires augmentent, ils peuvent faire hésiter les propriétaires de les entreprendre, voire les en dissuadent. Nous connaissons aussi à Strasbourg une hausse de la taxe d’habitation, certes mesurée. Tout ceci conjugué créé un contexte compliqué. Nous constatons par exemple que des enfants ne veulent plus poursuivre l’activité locative de leurs parents âgés qui, par conséquent, vendent leur bien.

La construction de logements neufs continue de battre son plein. Son rythme est-il en rapport avec le marché ?

Elle répond à un phénomène semble-t-il d’attraction vers le centre : après les années de déménagements de la ville-centre vers les communes périphériques, un mouvement en sens inverse s’est enclenché depuis deux ou trois ans. Toutefois, il semble que le taux de rotation dans ces constructions neuves soit plus important, sans que les causes en soient identifiées à ce stade. Il faut aussi que les promoteurs veillent à ne pas réduire les surfaces à vivre en proportion des autres comme les sanitaires, de tels partis pris créent des déceptions chez les occupants.

Au niveau de l’investissement locatif, la concentration du zonage Pinel en grande partie sur l’agglomération est souvent décriée. Elle ne constitue cependant pas une aberration de mon point de vue : elle est en cohérence avec la concentration de la demande bas-rhinoise de locatif sur l’agglomération strasbourgeoise.

Mathieu Noyer

Source : 25 millions de propriétaires • N°mars 2019


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