La dégradation de l'effort d'entretien des logements n'est pas surprenante

Michel Mouillart
Professeur à l’Université Paris Ouest et directeur scientifique de CLAMEUR

L’analyse des loyers de marché et de relocation que vient de présenter l’observatoire CLAMEUR démontre que le marché locatif privé est en panne. Michel Mouillart explique les causes de cette situation et les conséquences qu’il faut en attendre sur le parc de logements.

Comment expliquer la hausse du taux de mobilité résidentielle ?

Entre 2008 et 2014, la mobilité des locataires du parc privé a reculé, en réponse à la dégradation de la situation économique (la crise des subprimes) et aux orientations de la politique du logement suivie dès 2012. Ce recul correspond à une perte de 125 000 à 135 000 locations chaque année. Puis la mobilité s’est ressaisie en réponse à l’inflexion politique de l’été 2014. Cette amélioration a néanmoins été mise entre parenthèses en 2017, la mobilité résidentielle des locataires du privé ayant eu à souffrir des incertitudes sur l’évolution du pouvoir d’achat des ménages qui se sont notamment exprimées par la dégradation du moral des ménages dont l’Insee a rendu compte. Le retour du marché à un niveau de mobilité normal, celui qui prévalait avant la crise de 2008-2009, a bénéficié du rebond de l’accession à la propriété qui « aspire » les locataires en capacité d’acheter un logement.

Les loyers de marché ont progressé de +1,4 % en 2018. Le marché se redresse-t-il ?

En 2018, l’inflation hors tabac est évaluée à 1,8 % par l’Insee, mais à 1,9 % tabac compris et même à 2,1 % si on se réfère à l’indice des prix harmonisés utilisé par les économistes qui tient compte du déremboursement des médicaments. La hausse des loyers de +1,4 % observée en 2018 est donc inférieure à celle des prix à la consommation quelle que soit la manière dont on la mesure et cette situation perdure depuis plusieurs années : depuis 2013, l’inflation progresse en moyenne de +0,8 % par an tandis que les loyers augmentent de 0,5 %.

Le bailleur perd chaque année 0,3 point de pouvoir d’achat, soit 2,5 % depuis 2013, tandis que les prélèvements fiscaux et parafiscaux se sont nettement alourdis.

Tous les types de logements sont-ils concernés ?

Le ralentissement concerne tout le parc : dans son ensemble, les loyers ont augmenté en moyenne de +2,2 % par an entre 1998 et 2008, mais de seulement 0,5 % chaque année depuis 2013. Et le mouvement est particulièrement marqué pour les petits logements (studios et 1 pièce). Alors que leurs loyers sur longue période ont progressé de +2,4 % par an, ils n’ont augmenté que de 0,4 % entre 2013 et 2018. En revanche, la décrue est moindre pour les 5 pièces et plus ; la hausse est de +1,4 % sur longue période mais de 0,2 % de 2013 à 2018.

Le ralentissement est-il constaté dans toutes les régions ?

Le ralentissement des loyers est général, on l’observe à Paris, Lille, Marseille, Grenoble, Bordeaux... Aucune des vingt plus grandes villes n’échappe à cette évolution. Dans 70 % des villes, les loyers baissent ou progressent moins que l’inflation. On ne peut vraiment pas qualifier cette situation de «dérapage».

Dans les 39 villes de plus de 100 000 habitants, la situation est comparable: dans 68% d’entre elles, les loyers baissent ou augmentent moins que l’inflation.

Peut-on mesurer un effet de l’encadrement des loyers ?

A Lille, les loyers ont augmenté de +0,1 % par an entre 2013 et 2018 et reculé de -0,3 % en 2018. Mais rappelons d’une part que l’encadrement a été annulé en 2018 et, d’autre part, que la tendance à la baisse est très générale. Il n’y a pas d’encadrement à Nantes, Strasbourg ou Montpellier et les loyers y baissent. Il paraît donc difficile d’affirmer que l’encadrement constitue cet outil d’inter- vention public qui a permis au marché de retrouver la raison !

Les loyers de relocation restent aussi en baisse...

A l’exception de Paris où la hausse est de +2,5 % et de deux départements (Orne et Gers) où le marché est de taille très réduite, avec des évolutions erratiques d’une année sur l’autre, la baisse est générale. En moyenne, les loyers baissent de -0,3% entre deux locataires en 2018. Sur ce point aussi, on voit bien que le discours ambiant n’est guère relayé par la réalité du terrain.

La baisse du taux d’effort d’amélioration des logements est spectaculaire !

La baisse est forte mais elle n’est pas surprenante : elle confirme l’alarme que Clameur a lancée depuis plusieurs années. A 13,3 % de logements bénéficiant de travaux d’entretien ou d’amélioration lors d’une relocation en 2018, un niveau aussi bas n’avait jamais été observé par Clameur. Avec comme conséquences de cela, une détérioration des conditions de logement des locataires, une perte de valeur du patrimoine des propriétaires privés ... mais aussi une dégradation de l’activité des entreprises du bâtiment, notamment les petites et les moyennes, partout sur le territoire.

Et cette situation qui perdure pose question : elle provoque une dégradation du patrimoine, elle met en cause la qualité environnementale des logements et elle contribue à l’émergence de nouvelles passoires thermiques. Et ne pas chercher à corriger dans le cadre d’une stratégie publique, c’est risquer le renforcement d’un mécanisme de segmentation du parc de logements entre les composantes qui bénéficient d’un soutien public pour cela et les autres.

Car cette situation est à la fois une des conséquences de la dégradation de l’évolution des recettes locatives et un «effet perdant» de la stratégie de politique publique engagée depuis quelques années.

Le parc social public reçoit depuis la fin des années 70 des aides publiques sous des formes qui ont varié (Palulos, programmes de renouvellement urbain, eco-PLS...). Ces aides représentent au total 13,5 milliards d’euros, et même 19,5 milliards, si on tient compte du taux réduit de TVA. L’aide représente en moyenne pour le parc public environ un quart du coût des travaux.

Face à cela, les aides au parc privé de l’ANAH ne sont pas, ne sont plus à la hauteur. Une amélioration de la situation du parc privé et du redressement de l’effort d’amélioration des logements ne peut venir que d’une augmentation des aides publiques ou d’une remise à niveau des loyers...

Retrouvez le détail des résultats de l’observatoire sur www.clameur.fr
Merci de retourner à votre UNPI locale la fiche de Référence de loyer jointe.