Parc locatif privé : vers une mobilisation du secteur social ?

L’ANAH a organisé, le 3 décembre 2015, le Forum des politiques de l’habitat privé à Paris dans les locaux de la Caisse des Dépôts et Consignations. Son objectif : mobiliser davantage le parc de logements privés à des fins sociales. Marcel Crasnier, président et consultant fiscaliste à l’UNPI 49, a participé à ce forum pour y représenter l’UNPI. Nous l’avons interrogé.

Entretien avec Marcel Crasnier, Président et consultant fiscaliste à l’UNPI 49.

Pourquoi ce forum piloté par Soraya Daou, responsable du Service des Études, de la Prospective et de l’Évaluation à l’ANAH ?

Depuis 2011, l’ANAH a recentré ses aides vers les propriétaires occupants aux ressources modestes ou très modestes. Elle incite aussi les bailleurs à effectuer des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration énergétique en les subventionnant avec l’obligation, en contrepartie, de louer en régime social.

Pierre Malet, Président de l’UNPI 78, qui avait été auditionné par l’ANAH en mars 2015 sur la mobilisation des propriétaires bailleurs dans un contexte de plus en plus contraint économiquement, avait déjà indiqué à l’Agence que « l’UNPI est très favorable au conventionnement sans travaux. En effet, grâce à des loyers plus bas, le conventionnement permet de stabiliser les locataires en place ». Il avait en revanche déjà souligné la lourdeur du montage des dossiers, de la gestion des avenants de révision et des échéances de conventionnement. Dans un contexte d’évolution haussière des impôts locaux, il avait également suggéré d’augmenter de 10 points le taux plancher de défiscalisation (40 % au lieu de 30 %). Pour ma part, je considère que selon les régions de France (zones tendues ou non), le conventionnement avec travaux peut, au même titre que le conventionnement sans travaux, intéresser les bailleurs privés.

D’où le thème du forum qui était « Comment mobiliser le parc locatif privé à des fins plus sociales » ?

Oui, mais avant de répondre au « comment », il importe de comprendre le pourquoi » de ce besoin. Plusieurs raisons apparaissent clairement même si, historiquement, les politiques du logement privilégient le logement social pour les personnes disposant des ressources les plus modestes :

  • l’ANAH recense 70,9 % de locataires du parc privé avec des ressources inférieures aux plafonds de ressources HLM PLUS (1) dont 40,7 % possèdent des ressources inférieuresà 60 % des plafonds PLUS (cf. tableau ci-dessous),

Répartition des ménages selon leurs revenus

et selon les plafonds HLM PLUS

Revenu / plafond HLM (PLUS)

Secteur privé

Secteur HLM

Moins de 30 %

17,6

24,7

De 30 à 60 %

23,1 31,31

De 60 à 100 %

31,2 30,4

De 100 à 150 %

18,5

11,5

+ de 150 %

9,6 2,3
Source : Filocom 2011, MEDDE d’après DGFip, France métropolitaine
  • c’est le secteur privé, avec plus de 6 millions de logements locatifs contre 4,2 millions de logements publics, qui assure le parcours résidentiel des locataires puisque ceux-ci restent en moyenne un peu moins de 4 ans dans un logement privé contre plus de 12 ans dans le public dit social ;
  • de plus, le secteur HLM connaît des situations de sous-occupation (après départ des enfants par exemple) ou de dépassement de plafond de ressources pour certains locataires qui voient leurs revenus augmenter au fil du temps et qui ne répondent plus aux conditions de ressources pour l’accès HLM. Il semble en effet anormal que les plafonds de ressources permettent à environ les 2/3 de la population française d’être éligibles au logement social alors que la même proportion est propriétaire occupant ou accédant.

Donc comment parvenir à mobiliser le parc privé ?

D’abord en incitant les propriétaires privés à utiliser les dispositifs en place. Voici d’ailleurs comment j’analyse le conventionnement ANAH sans travaux (régime Borloo ancien).

L’intérêt est de bénéficier d’un abattement de 30 % en loyer inter- médiaire (LI) et de 60 % en loyer social (LS), et même 70 % en loyer très social (LTS).

Un exemple est plus parlant :

- soit un bailleur taxé au taux marginal d’impôt sur le revenu (TMI) de 30 % auquel s’ajoute la CSG-CRDS et annexes au taux global proportionnel de 15,50 %. On retient un conventionnement en loyer intermédiaire permettant un abattement de 30 % sur les loyers perçus.

La réduction d’impôt est donc la suivante sur le revenu net foncier imposable (loyers encaissés moins les charges habituelles) :

1. Impôt sur le revenu :
   30 % d’abattement x 30 % (TMI) = 9 % d’impôt en moins

2. CSG-CRDS :
    30 % d’abattement x 15,5 % = 4,65 % d’impôt en moins

3. Le total du gain fiscal est donc, dans ce cas de figure, de = 13,65 % des loyers.

Si on prend l’hypothèse du loyer social avec abattement de 60 % le gain fiscal est double.

En fait, tout dépend du taux marginal d’imposition du propriétaire bailleur : si celui-ci a des revenus nets fonciers déficitaires, à cause de travaux de réhabilitation, sur une période de plusieurs années, son option pour un conventionnement en loyer intermédiaire ou social aura pour effet de retarder son imposition effective, du fait de l’abattement qui s’analyse comme une charge des revenus fonciers, sur la durée du conventionnement et sa prolongation éventuelle. Pour moi, les avantages du conventionnement sont :

  • le gain d’impôt, tel que décrit ci-dessus, variable selon le TMI,
  • la diminution de la vacance locative, notamment en cas de changement de locataire dans les zones non tendues sur l’ensemble des départements,
  • l’accès facilité au logement pour les 50 % de locataires modestes du secteur privé,
  • l’offre de logements à loyers modérés dans les communes de moins de 3 500 habitants qui n’ont pas d’obligation d’offre minimale de logement publics, dans le cadre de la loi SRU,
  • l’absence de contingentement par l’État ou l’ANAH : les seuls critères sont le plafond de loyer et le montant du revenu fiscal de référence. Les inconvénients à maîtriser par les bailleurs sont :
  • la gestion administrative lors de la mise en place du conventionnement,
  • le respect des règles (loyers plafonds, revenus fiscaux des locataires entrants),
  • le dépassement de l’image parfois négative du loyer à caractère social,
  • la difficulté à appréhender la doctrine de l’ANAH en CLAH (Commission Locale d’Amélioration de l’Habitat).

En fait, c’est le comportement social du locataire qui importe, en considération de ses revenus modestes. Le bailleur dispose de garanties possibles : caution par un garant, à défaut : garantie des risques locatifs. Le succès de ce dispositif est tel que, depuis 2014, les conventionnements sans travaux dépassent les conventionnements avec travaux, selon la répartition suivante :

Conventionnement

Loyer très social

Loyer social

Loyer intermédiaire

Total

Avec travaux 288 1 880 309 2 477
Sans travaux 45 2 646 2 510 5 201
TOTAL 333 4 526 2 819 7 678
Source : ANAH, chiffres clés 2014

Quelles ont été les autres contributions à ce Forum ?

Au cours de la journée, des expériences intéressantes pour le logement des plus défavorisés ont été décrites : elles peuvent inspirer des propriétaires privés qui, parfois âgés, maîtrisent plus difficilement la gestion directe, surtout depuis la loi ALUR...

Le grand témoin du forum était René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité pour le Logement des personnes défavorisées dont j’invite nos lecteurs à lire le rapport de juin 2015 « La mobilisation du parc privé pour créer une offre sociale » en ligne sur www.hclpd.gouv.fr. Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre a conclu en rappelant notamment les points suivants :

  • les nécessaires sécurisation et tranquillisation des propriétaires privés,
  • l’utilité des avantages fiscaux pour le maintien de dispositifs d’intérêt général,
  • la grande disparité entre les secteurs tendus et non tendus,
  • l’indispensable pilotage de l’insalubrité,
  • le grand besoin de simplification et d’amélioration des différents dispositifs,
  • la nécessité de mobiliser davantage les propriétaires et les agents immobiliers.
Une prime exceptionnelle de 1000 €

Pour faciliter le développement d’un parc locatif privé à vocation sociale, le Conseil d’administration de l’Anah a adopté le 30 septembre dernier une mesure applicable à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2017. Il s’agit d’une prime forfaitaire de 1 000 € pour les proprié- taires bailleurs qui concluent une convention à loyer social et très social et qui confient leur logement conventionné à une structure d’intermédiation locative agréée ou une agence immobilière sociale pour une durée d’au moins 3 ans.

Un formulaire type de demande de prime est en ligne sur le site de l’Agence www.anah.fr.

1 - * Plafond PLUS de revenus annuels pour un ménage de 4 personnes : Paris : 54 098 €, Ile de France : 49 768 €, autres : 38 892 €