Transformer un local professionnel ou commercial en logement

Le projet de transformer un local professionnel ou commercial en logement est une idée fréquemment avancée pour répondre à la crise du logement dans les secteurs où la demande de logements est forte. Elle part du constat qu’il est préférable de modifier l’aménagement intérieur d’un bâtiment plutôt que le démolir et reconstruire. Le projet peut se heurter à des difficultés techniques mais il est surtout contrecarré par des difficultés administratives et juridiques.

Les obstacles techniques peuvent venir de la conception initiale du bâtiment. Une construction conçue pour abriter des bureaux dispose habituellement d’une largeur de plateau supérieure à celle des logements. Il faut donc revoir complètement la distribution de l’espace pour pouvoir en faire des logements. Cet obstacle se rencontre généralement dans les immeubles construits dans les années soixante ou soixante-dix. La réponse relève des compétences d’un architecte.

En revanche, les immeubles antérieurs, notamment haussmanniens, ont le plus souvent été conçus pour être des logements, avant d’être utilisés comme bureaux. Le retour à l’habitation est donc plus aisé du point de vue technique.

Par ailleurs, les effets de la crise sanitaire qui a débuté en mars 2020 commencent à se manifester plus clairement sur le marché du bureau. Le confinement a contraint les entreprises à mettre en place massivement des outils de télétravail. Il existait précédemment des accords d’entreprise pour le télétravail, mais ils étaient limités. La crise sanitaire a montré qu’il était possible de le pratiquer bien plus largement. Il se dessine des perspectives pour une pratique beaucoup plus large du télétravail, la crise ayant eu un effet d’accélérateur. Le marché du bureau s’en ressent : les entreprises se lancent dans une réorganisation de l’occupation des espaces de bureaux. Elle se traduit par un abandon des bureaux individuels et la mise en place d’espaces partagés. Ce « flex office » permet de réduire la surface globale nécessaire à l’activité. Le volume global des bureaux sera donc moindre et des immeubles vont se retrouver vides d’occupants, ce qui relance l’intérêt pour la transformation en logements.

La transformation pose une question de copropriété et une question d’autorisation administrative. Le bail doit par ailleurs être respecté. 

La copropriété

Si les espaces de locaux professionnels ou commerciaux sont des lots de copropriété, leur transformation impose de vérifier si le nouvel usage, à titre d’habitation, est autorisé par le règlement de copropriété. Le copropriétaire doit en effet respecter la destination de l’immeuble (art. 9 de la loi du 10 juillet 1965) et le règlement de copropriété (art. 8 de la même loi). Il est possible au règlement de n’autoriser que l’exercice de certaines activités par exemple le bureau. Cela interdit par exemple de créer un restaurant (Civ. 3ème, 9 décembre 1986, RD Imm. 1987, p. 88).

Plusieurs hypothèses peuvent se présenter.

  • Si le règlement interdit l’usage de logements au motif qu’il est contraire à la destination de l’immeuble, le changement d’affectation impose l’unanimité (Civ. 3ème, n° 91-11.296, 28 avril 1993, pour le cas inverse interdisant l’usage commercial dans un immeuble d’habitation).
  • Si le changement est simplement prohibé par le règlement, la clause doit être respectée. Tout changement supposera alors une décision unanime de l’assemblée. Il peut toutefois être fait appel au tribunal afin qu’il juge que la restriction n’est pas justifiée par la destination de l’immeuble. La décision devra être motivée, le juge devant indiquer en quoi la clause d’affectation est conforme ou non à la destination de l’immeuble (Civ. 3ème, n° 85- 18.766, 8 juillet 1987).
  • Si le règlement autorise diverses affectations, elles peuvent alors être changées sans autorisation d’assemblée (CA Versailles, 25 avril 2000). Des boutiques en rez-de-chaussée peuvent ainsi être transformées en logement (CA Paris, 15 février 2012).
  • Enfin,ilsepeutquelerèglement ne précise pas s’il est possible de transformer l’affectation d’un lot. Le litige sera alors tranché par le juge qui appréciera si la transformation souhaitée est ou non contraire à la destination de l’immeuble.

Exemple : S’agissant d’un immeuble à usage d’habitation à l’exception du lot n°4 à usage professionnel (d’après le règlement de copropriété) : alors qu’une Cour d’appel avait admis la transformation en logement du seul lot à usage professionnel dans l’immeuble au motif que l’affectation de surfaces supplémentaires à un des usages admis est en principe licite, la Cour de cassation a censuré au motif que la Cour d’appel s’était déterminée par un motif général et abstrait sans préciser en quoi l’affectation de surfaces supplémentaires à un usage d’habitation était conforme à la destination de l’immeuble (Civ. 3ème, n° 11-23.787, 23 janvier 2013). Dans le cas où c’est une boutique en rez-de-chaussée que le copropriétaire veut transformer en appartement, la Cour de cassation a jugé que cette transformation pouvait porter atteinte à la destination de l’immeuble si l’existence de ces locaux est nécessaire pour desservir la copropriété en commerces (Civ. 3ème, n° 05-12.045, 26 avril 2006). De nombreuses décisions ont admis la transformation en logements de locaux annexes (voir tableau).

Certaines peuvent être plus restrictives, par exemple si la transformation de celliers en studios dans un immeuble de standing élevé provoque une surdensité incompatible avec cette desti- nation (CA Aix-en-Provence, 14 mai 1996).

Lorsque l’immeuble est déjà à usage mixte (commercial et habitation ou professionnel et habitation), il est a priori plus aisé d’opérer la transformation car les opposants ont plus de difficulté à soutenir que l’usage recherché est contraire à la destination de l’immeuble. Par exemple, dans un immeuble à usage mixte d’habitation et commercial, un local commercial peut en principe être affecté ou réaffecté à usage d’habitation (Civ. 3ème, n° 92-13.561, 5 janvier 1994). Toutefois, un arrêt a une vision plus restrictive en se référant à la destination contrac- tuelle du lot pour interdire l’utili- sation à usage commercial d’un lot d’habitation (Civ. 3ème, n° 89- 16.864, 6 février 1991).

Par ailleurs, si la transformation s’accompagne de travaux sur les parties communes, elle requiert une autorisation à ce titre. L’assemblée peut légitimement refuser l’autorisation de trans- formation, si elle fait corps avec la demande d’autorisation de ces travaux car les travaux peuvent avoir un effet sur les droits des autres copropriétaires (CA Paris, 10 novembre 2021).

L’autorisation de la copropriété n’est pas en elle-même suffisante. Le copropriétaire doit se préoccuper d’obtenir les autorisations d’urbanisme nécessaires (Civ. 3ème, n° 95-10.940, 26 mars 1997) par application de l’article L 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. Il peut aussi être nécessaire d’obtenir un permis de construire. Par exemple pour la transformation en studios de sous-sols utilisés comme garages (arrêt précité). Précisons que cette autorisation de la copropriété ne préjuge pas de la nécessité de respecter les règles sanitaires qui interdisent l’utilisation de sous-sols à des fins d’habitation (cf. art. L1331-23 du Code de la santé publique).

Les charges

La répartition des charges de copropriété peut se trouver affectée par le changement d’usage d’une partie privative. Un bureau transformé en logement suscitera par exemple moins d’utilisation de l’ascenseur. L’article 25 e de la loi du 10 juillet 1965 permet à l’assemblée de décider, à la majorité des voix des copropriétaires, une modification de la répartition des charges rendue nécessaire par un changement de l’usage d’une ou plusieurs parties privatives. La Cour de cassation l’a admis par exemple pour une assemblée ayant majoré les charges d’ascenseur d’un lot d’habitation désormais affecté à un cabinet médical (Civ. 3ème, n° 00-10.476, 20 juin 2001). Mais on peut aussi envisager le cas inverse de l’assemblée admettant de réduire les charges du lot qui abandonne un usage professionnel (en ce sens code de la copropriété, LexisNexis 2021, p. 420).

Les règles de destination et d’usage

La faculté d’utilisation d’un local est restreinte par les règles du Code de l’urbanisme et celles du Code de la construction et de l’habitation. Il faut donc distinguer deux notions : la destination, qui est réglée par le droit de l’urbanisme en lien avec le permis de construire et l’usage, qui relève du CCH.

Le permis de construire est accordé pour une destination précise. La loi a fixé une liste de 5 destinations. Les destinations sont les suivantes (art. R 151-27 et R 151-28 du CCH) :

  • exploitation agricole et forestière,
  • habitation,
  • commerce et activités de services,
  • équipements d'intérêt collectif et services publics,
  • autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.

De plus, ces 5 destinations se décomposent en 20 sous-destinations. Par exemple, la destination logement comporte deux sous-destinations, logement et hébergement. Pour changer la destination d’un bâtiment, il faut requérir une autorisation à la mairie. S’il y a un changement de façade ou une modification de la structure porteuse du bâtiment, il faut un permis de construire. S’il n’y a ni changement de façade ou modification de la structure, il suffit de faire une déclaration préalable (art. R 421-14 et suivants du code de l’urbanisme). Consultez le PLU1 car certains plans peuvent par exemple interdire de transformer des rez-de-chaussée en logements, pour protéger le commerce.
Le changement d’usage est encadré en cas de transformation d’un local d’habitation en local professionnel ou commercial pour préserver le parc de logements. Pour encourager à la transformation en logements de locaux affectés à un autre usage, la loi du 6 août 2015 a créé un régime qui permet une utilisation temporaire du local en logement, sans perdre le droit de retrouver l’usage antérieur, par dérogation au régime de l’article L 631-7 (art. L 631-7-1 B du CCH). Mais cette autorisation est limitée à 15 ans. Elle est définie par délibération du conseil municipal.

Le bail

Rappelons enfin que le bail doit, bien sûr, être respecté. Il incombe au locataire de respecter la destination contractuelle. Cette règle de principe du Code civil (art. 1728) s’impose aux baux commerciaux et elle est déclinée dans la loi de 1989 (art. 7 b) pour les baux d’habitation. Un changement de destination ne peut être effectué qu’avec l’accord du bailleur et ne peut résulter d’un accord tacite (Civ. 3ème, n° 11-27.773, 5 mars 2013). La jurisprudence est constante sur ce point. Et il n’est pas besoin de prouver l’existence d’un préjudice pour s’opposer à la transformation de la destination contractuelle (Civ. 3ème, n° 79-12.774, 18 nov. 1980). Le locataire qui veut transformer en logement un local loué pour une autre destination doit donc au préalable obtenir l’accord de son bailleur.

 

Bertrand Desjuzeur, Journaliste

Source : 25 millions de propriétaires • N°558 janvier 2022

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