Baux commerciaux : les MARD et la crise sanitaire

Baux commerciaux : les MARD et la crise sanitaire

Face à l’engorgement de la Justice, accentué par la crise « Covid-19 », les tribunaux et la profession d’avocat appellent de plus en plus à recourir aux MARD (Modes alternatifs de règlement des différends). Pour nous éclairer sur ces dispositifs, nous avons interrogé deux avocats associés du cabinet FIDAL (Direction Régionale Midi-Toulousain), Me Annabelle LE MAILLOT, Département Règlement des Contentieux, et Me Pierre-Benoit VERMANDE, Département Droit des Sociétés, pratiquant les baux commerciaux, tant en conseil qu’en contentieux.

La saturation des tribunaux est-elle effective et amplifiée par la crise sanitaire et les différents confinements ?

Oui, car lors du premier confinement les tribunaux étaient fermés. Le retard accumulé aujourd’hui doit être rattrapé mais les délais sont très longs. Face à cela, le système judiciaire classique doit s’adapter pour répondre à la demande de gestion des contentieux en cours. Il devient nécessaire, à notre sens, de s’ouvrir à de nouveaux modes de règlement des litiges.

Le recours aux MARD est-il une alternative ? Est-il obligatoire ? Si oui, dans quels cas ?

Les MARD sont, comme leur nom l’indique, des modes alternatifs de règlement des différends. A ce titre, ils permettent d’éviter, pour partie, d’avoir à « passer en justice » avec tout ce que cela implique et de recourir aux contentieux classiques. Ces différents modes sont répartis en plusieurs catégories : la médiation, la conciliation, et l’arbitrage, d’une part, le droit collaboratif et la procédure participative, d’autre part. La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice introduit à peine d’irrecevabilité de la demande le principe d’une tentative préalable de règlement amiable pour les demandes devant le Tribunal Judiciaire relatives au paiement d’une somme d’argent n’excédant pas 5 000 €, ainsi que celles relatives à un litige de voisinage. Elle donne également le pouvoir général au juge, y compris en référé, d’ordonner aux parties de rencontrer un médiateur qu’il désigne afin que celui-ci les informe sur la médiation.

Les principaux centres de médiation, qui sont depuis toujours saisis par voie électronique, ont continué à être opérationnels durant la crise sanitaire. Leurs médiateurs se sont eux aussi organisés pour être joignables par visioconférence, comme par téléphone. Concernant le cas particulier des baux commerciaux, si lors du premier confinement, le preneur pouvait échapper aux sanctions (intérêts contractuels, pénalités, clause de résiliation) en cas de non-paiement, ses loyers et charges restaient cependant exigibles, ce qui permettait au bailleur de l’assigner en paiement, tout particulièrement en référé provision. Or, depuis le 17 octobre 2020, non seulement les premières mesures de protection du preneur ont été poursuivies, mais les mesures conservatoires et les actions en justice ont également été suspendues temporairement. Le recours aux MARD appa- rait donc comme une solution intéressante à envisager dans ce contexte.

Pouvez-vous nous présenter les différents MARD avec leurs conditions, leurs avantages et leurs inconvénients ?

La médiation

La médiation est un processus par lequel un tiers indépendant (médiateur) permet à des parties, en conflit ou pré-con- flit, au travers d’échanges entre elles, d’exprimer et de confronter leurs points de vue et de rechercher avec son aide une solution au différend qui les oppose.

La médiation présente les intérêts suivants :

  • elle évite les positions de gagnant et de perdant (comme cela peut être le cas suite à une décision judiciaire).
  • elle replace les parties en partenaires plutôt qu’en adversaires, ce qui leur garantit un avenir.
  • l’absence de formalisme limite les coûts et permet une plus grande rapidité.
  • discrétion/confidentialité (contrairement au procès public).

La médiation présente la limite suivante : il est parfois nécessaire d’aller chercher une décision en justice lorsqu’on a besoin d’un précédent.

Quelques statistiques1 :

  • Une médiation peut ment être mise en place sous environ 15 jours ;
  • La durée moyenne d’une médiation est d’environ 2 mois ;
  • Suite à un sondage réalisé auprès de divers participants, 85% des répondants considèrent que la médiation est une méthode de résolution des litiges plus rapide que la voie judiciaire ;
  • L’avantage économique de la médiation est confirmé par 69% des répondants.
  • Les relations d’affaires sont préservées pour 85 % des utilisateurs de la médiation, par exécution du contrat (15%), modification (31%) ou création d’une nouvelle relation (38,5%) ;
  • Pourtant seulement 39% des entreprises interrogées utilisent la médiation (contre 85 % des entreprises américaines).

La conciliation

A l’instar de la médiation, la conciliation désigne le processus de résolution des conflits selon lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord amiable avec l’aide d’un tiers. En revanche, la médiation et la conciliation sont régies par des textes législatifs différents. La conciliation est mise en œuvre par le juge lui-même ou par un conciliateur de justice auquel il aura délégué sa mission de concilier. La conciliation est gratuite pour les parties alors que la médiation est une prestation payante.

L’arbitrage

L’arbitrage est un mode juridictionnel privé de résolution des conflits qui consiste à soumettre, par voie contractuelle, un litige né ou à naître à la juridiction d’un tiers, l’arbitre ou le tribunal arbitral (quand plusieurs arbitres le composent), à charge pour ce dernier de trancher ledit litige en appli- cation des règles de droit et des usages du commerce qui lui sont applicables.

L’arbitre rend alors une décision, appelée sentence arbitrale, qui a force obligatoire entre les parties, ce qui signifie qu’elle s’impose à elles et met fin au litige. Cette procédure est requise essentiellement dans les contentieux à fort intérêts financiers, les coûts qu’elle engendre étant substantiels.

Enfin, d’autres modes amiables existent à l’instar du droit collaboratif et de la procédure participative, qui peuvent permettre de trouver une issue négociée dans le cadre d’un litige opposant preneur et bailleur.

Pour la mise en œuvre et le suivi de ces divers MARD, l’accompagnement des parties par leur avocat est fortement recommandé.

La commission de conciliation des baux commerciaux joue-t- elle un rôle majeur en matière de recouvrement de loyer ?

L’article L.145-35 du Code de commerce institue une Commission Départementale de Conciliation des litiges en matière de baux commerciaux. Cette Commission a pour objectif de favoriser la concertation entre bailleurs et locataires exclusivement en cas de désaccord. Elle est donc une alternative essentielle dans la résolution des conflits en matière de baux commerciaux.

Toutefois, son périmètre d’action ne comprend pas les litiges « classiques » en matière de recouvrement de loyers impayés : en effet, ne sont en effet pas inclus dans sa compétence les litiges rela- tifs à des défauts de paiement, demandes de délais ou suspension de paiement.

Compte tenu de la crise sanitaire, une circulaire interministérielle en date du 22 juillet 2020, prise notamment à la suite du travail de l’UNPI, a justement pour but d’inciter à la saisine de cette Commission, en mobilisant exceptionnellement les Commissions sur le sujet du recouvrement du loyer.

La médiation et l’UNPI Grand Paris

Entretien avec Jean Pinsolle, président de la Chambre des Propriétaires du Grand Paris / UNPI

Vous avez développé la médiation au sein de votre association depuis 3 ans. Pour quelles raisons ?

La Médiation est un nouvel outil aussi efficace qu’incontournable, nous avons pris l’initiative de l’intégrer très tôt dans notre palette de service aux adhérents avant que celle-ci ne devienne quasi obligatoire depuis 2020.
Les adhérents nous sollicitent de plus en plus sur ce sujet qui traite davantage de la relation entre les personnes et le retour au dialogue alors que le cadre judiciaire est tout de suite clivant et souvent destructeur.

Comment s’organise ce service ?

Au même titre que les autres consultants de la CPGP, nos 3 médiateurs assurent des permanences pour des consultations gratuites, nos adhérents peuvent aussi les consulter à distance.
Lors du premier confinement, nous avons lancé Habitat Médiation, le premier centre de médiation du logement tant en immobilier d’entreprise que d’habitation.

Les médiations sont réalisées en présentiel ou en distanciel au choix des parties. Nous avons mis en place un site d’information et un formulaire de contact pour demander une médiation et dont les cordonnées sont : https://habitat-mediation.cpgp.paris.

Quels sont les résultats obtenus ?

Excellents, mais ce n’est pas une surprise ayant été moi-même formé à la Médiation, je savais que le processus de retour au dialogue et la voie amiable donnent des résultats étonnants.
Il est nécessaire de faire connaître davantage le recours à ce mode alternatif de règlement des litiges à nos adhérents, et que ceux qui ont privilégié cette voie en parlent également autour d’eux.

Je rajouterai qu’étant référencé auprès de la Cour d’appel de Paris et de certains magistrats, une quinzaine de médiations judiciaires ont été confiées à Habitat Médiation.

En matière de baux commerciaux plus spécifiquement, est-ce un outil opérant?

Nous avons mis en place une opération d’urgence pendant le premier confinement, afin de rétablir le dialogue bailleurs / preneurs qui était totalement éteint dans ce contexte pour le moins confiné... Sur une trentaine de cas, tous ont trouvé une solution satisfaisante pour les parties.

1 - Source : enquête AAA/FIDAL « Vers un management optimisé des litiges »

Me Annabelle LE MAILLOT, Département Règlement des Contentieux & Me Pierre-Benoit VERMANDE, Département Droit des Sociétés • Avocats associés du cabinet FIDAL (Direction Régionale Midi-Toulousain),

Source : 25 millions de propriétaires • N°549 mars 2021

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