Refus de l'Etat de démolir une construction sans permis

En cas de construction réalisée sans permis de construire, le juge pénal peut ordonner la démolition de la construction irrégulière (article L.480-5 du Code de l’urbanisme).

Encore doit-il vérifier que la démolition ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale et au domicile, en particulier si le prévenu invoque ce droit dans ses conclusions (voir notre article sur le sujet).

Selon l’article L.480-9 du même code, « si, à l'expiration du délai fixé par le jugement, la démolition, la mise en conformité ou la remise en état ordonnée n'est pas complètement achevée, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ».

Le Conseil d’Etat vient de se prononcer sur la question de savoir si, au-delà d’une simple possibilité, l’exécution forcée s’impose lorsqu’un voisin de la construction irrégulière la demande.

En l’espèce, le requérant se plaignait de ce que les autorités n’avaient pas, malgré ses demandes, fait démolir l’extension pratiquée par son voisin direct sans permis, consistant essentiellement en l’édification d’une terrasse et portant sur une vingtaine de mètres carrées. Il a assigné en responsabilité l’Etat et sollicité une condamnation à
100.000 € de dommages-et-intérêts. N’obtenant pas gain de cause devant les juges du fond, il saisit le Conseil d’Etat.

Malheureusement pour lui, la Haute juridiction confirme le point de vue des juges du fond, ces derniers ayant valablement conclu à ce que l’existence d’un réel préjudice n’était pas rapportée.

Il reste que le Conseil d’Etat apporte un éclairage intéressant sur la possibilité en général d’engager, dans l’hypothèse où les autorités refusent d’exécuter un jugement ordonnant la démolition, la responsabilité de l’Etat.
D’après les juges, il résulte du Code de l’urbanisme que, « au terme du délai fixé par la décision du juge pénal prise en application de l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme, il appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 480-9 du code, de faire procéder d'office à tous travaux nécessaires à l'exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l'ordre ou de la sécurité publics justifient un refus. En outre, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation d'urbanisme visant à régulariser les travaux dont la démolition, la mise en conformité ou la remise en état a été ordonnée par le juge pénal, l'autorité compétente n'est pas tenue de la rejeter et il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer une telle autorisation de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables. Dans le cas où, sans motif légal, l'administration refuse de faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision du juge pénal, sa responsabilité pour faute peut être poursuivie. En cas de refus légal, et donc en l'absence de toute faute de l'administration, la responsabilité sans faute de l'Etat peut être recherchée, sur le fondement du principe d'égalité devant les charges publiques, par un tiers qui se prévaut d'un préjudice revêtant un caractère grave et spécial » (Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 13 mars 2019, n°408123).  

Plusieurs hypothèses doivent donc être distinguées.

En l’absence de motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre ou la sécurité publics justifiant le refus de procéder à la démolition ordonnée par le juge, il est possible d’engager la responsabilité pour faute de l’Etat.

Lorsque le refus d’exécuter la décision est légal, on peut tenter d’engager la responsabilité de l’Etat pour rupture d’égalité devant les charges publiques (responsabilité sans faute).

Il s’agit là d’une application de la célèbre jurisprudence Couiteas, encore largement pratiquée en matière d’expulsions locatives. Dans cette décision de 1923, le Conseil d’Etat énonçait en effet que si le pouvoir exécutif peut légitiment refuser de procéder à une expulsion périlleuse et controversée en Tunisie française, le bénéficiaire du jugement d’expulsion peut néanmoins réclamer une indemnité pour le préjudice spécial subi du fait de cette non-exécution.

Néanmoins, comme le rappelle le Conseil dans sa décision du 13 mars dernier, cela suppose de se prévaloir d’un « préjudice revêtant un caractère grave et spécial ».

Par ailleurs, malgré un jugement ordonnant la démolition, les autorités peuvent toujours délivrer un permis de régularisation. Il s’agit d’une décision d’opportunité, en fonction de la gravité de l’infraction commise, de la construction en cause et des règles d’urbanisme.
 

Le Conseil d’Etat avait déjà clairement jugé que l’existence d’un jugement ordonnant la démolition ne privait pas la commune de son pouvoir d’accorder un permis de régularisation (Conseil d'Etat, 6 / 2 SSR, 8 juillet 1996, n°123437, publié au recueil Lebon).

Le pouvoir d’appréciation de l’administration n’est pas ici sans limites. Une cour administrative d’appel a ainsi pu annuler un protocole par lequel l’Etat s’engageait à octroyer un permis de régularisation en échange de la cession gratuite d’un terrain (Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre - formation à 5, 3 février 2005, n°03LY01290).

Reste à savoir si la responsabilité de l’Etat pour rupture d’égalité devant les charges publiques peut également être engagée en cas de délivrance d’un permis de régularisation. Sur ce point, l’arrêt du 13 mars dernier n’est pas très clair. A priori, cela est exclu.

Frédéric Zumbiehl • Juriste UNPI