Signature d’un bail précaire en raison d’un projet de vente

La jurisprudence admet qu’un propriétaire puisse signer une convention d’occupation précaire, dérogeant aux règles strictes applicables normalement aux les baux d’habitation, en présence de « circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties » (voir par ex. Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 31 janvier 2012, 10-28.591).

Un cas classique est par exemple le cas où un bien est en passe d’être démoli à la suite de la création d’une ZAC. La perspective de la démolition, dont on ne connaît pas encore bien la date au moment où on signe la convention, justifie de signer une convention précaire permettant au propriétaire de donner congé à tout moment 1989 (Cour d'appel de Lyon, 26 octobre 2004, n° 2003/04097).

De la même façon, peut-on admettre qu’un propriétaire signe une convention d’occupation précaire au motif que le bien en cause est en passe d’être vendu ?
La possibilité de signer une telle convention représenterait de nombreux avantages pour un propriétaire. La vente d’un bien pouvant prendre plusieurs mois, voire plusieurs années, cela permettrait au propriétaire de valoriser son bien (et d’empêcher le risque de squat d’un bien inoccupé) sans s’engager sur le long terme, ce qui pourrait nuire à la vente.

Cette question semble toutefois appeler des réponses divergentes de la part des tribunaux.

  • Hypothèses où le recours à une convention d’occupation précaire a été exclue

Dans une décision de 2009, la Cour de cassation exclut que puisse être signée une convention précaire d’une durée de 18 mois avec engagement de l’occupant à quitter les lieux ou à acquérir l'immeuble à l'issue de cette période (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 29 avril 2009, 08-10.506, Publié au bulletin).

Dans une décision de 2016, la Cour d’appel de Dijon a requalifié en bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 une convention d’occupation précaire justifié par « la sauvegarde de l'immeuble à usage d'habitation appartenant à M. B. dans l'attente de sa vente, compte tenu de son isolement géographique l'exposant à un risque de squat ou de vandalisme ».
La Cour d’appel a noté que le propriétaire avait toute latitude pour décider ou non de vendre, les conditions de la vente n’étant pas précisées dans le contrat. Elle a relevé également que l’indemnité convenue, si elle entrait dans la fourchette basse des loyers pour le type de bien en cause, n’était nullement dérisoire (Cour d'appel, Dijon, 1re chambre civile, 24 Mai 2016 – n° 15/01147).

Si cette décision exclut le recours à une convention précaire au simple motif d’un projet de vente, elle ne semble pas complètement l’écarter, à condition que les conditions de la vente, et peut-être un délai, soient précisés dans la convention. Il serait également judicieux que la convention vise la publication d’annonces de vente.

  • Hypothèses où le recours à une convention d’occupation précaire a été admis

Dans une décision de 2008, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence admet la validité d’une convention d’occupation précaire étant donné que, comme l’attestent de nombreux documents, « la propriété avait été mise en vente antérieurement à la convention litigieuse, que les appelants n'ont pu rentrer dans les lieux qu'en raison de leur offre d'acquérir la maison dans le délai maximum d'un an, et ce après revente de l'immeuble qu'ils possédaient dans la région parisienne ».
La Cour note par ailleurs que l’indemnité prévue était dérisoire par rapport à l’importance de la villa occupée.
Elle conclut donc au départ des occupants après l’écoulement du délai d’un an fixé dans la convention pour acheter le bien (Cour d'appel, Aix-en-Provence, 11e chambre B, 20 Mars 2008 – n° 06/14033).

Tout récemment, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a également validé le recours à une convention d’occupation précaire dans le cadre d’une vente sous condition suspensive d’un prêt. En l’espèce, la convention portait sur une durée de 9 mois et il était clairement indiqué qu’une partie de l’indemnité prévue serait déductible du montant de la vente.
Il s’avère que les occupants n’ont pas réglé les indemnités d’occupation et que le propriétaire a refusé finalement de leur vendre le bien. Lorsque ce dernier les a assignés en expulsion, les défendeurs ont invoqué cette rupture « volontaire » de la vente. Cependant, la Cour a jugé que seul comptait le fait qu’au moment de la convention d’occupation précaire, il existait bien des circonstances indépendantes de la volonté (l’obtention ou non d’un prêt) justifiant le recours à une telle convention (Cour d'appel, Aix-en-Provence, 11e chambre A, 25 Octobre 2018 - n° 18/05856).


Cette dernière décision plaide clairement en faveur de la possibilité de signer une convention d’occupation précaire dans le cadre d’une vente avec condition suspensive, du moment que la convention est clairement rédigée.
Il semble par ailleurs que le montant très faible de l’indemnité convenue (ou sa déductibilité du montant de la vente) soit également un indice permettant de distinguer la convention d’occupation d’un bail classique.

Néanmoins, compte tenu des décisions évoquées plus-gaut, les commentateurs invitent généralement à la plus grande prudence…
Une prise de position claire et précise par la Cour de cassation serait la bienvenue !

Frédéric Zumbiehl
Juriste UNPI