Parution de la loi « Kasbarian » visant à protéger les logements contre l’occupation illicite

LÉGISLATION — Après validation presque intégrale par le Conseil constitutionnel, la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite a été publiée au journal officiel du 28 juillet 2023. L’UNPI est beaucoup intervenue au cours de l’examen de cette loi. Elle a participé à de nombreuses auditions et adressé une série d'observations. La loi Kasbarian comporte plusieurs avancées de taille, dont certaines étaient réclamées par l’UNPI. Il est donc logique de lui consacrer un commentaire détaillé.

Kasbarian

Amélioration des procédures d’expulsion

La simplification des procédures d’expulsion était l’un des principaux objectifs affichés par les instigateurs de la loi. Comme l’indiquait l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée en octobre 2022, « l’injustice peut aussi être celle du propriétaire qui voit son bien occupé par un locataire qui ne paie plus son loyer, refuse de se plier aux obligations prévues dans le contrat de bail qu’il a signé, et refuse de partir, avant de devoir lutter pendant des mois et des années pour récupérer son bien, en essuyant souvent au passage des pertes financières considérables ». Diverses améliorations sont apportées, en commençant par la réduction de certains délais.

 

Délais applicables après un jugement d’expulsion

Sur ce sujet, la principale avancée contenue dans la loi Kasbarian réside sans doute dans la réduction à un an du sursis que peut prononcer le juge de l’exécution ou le juge de l’expulsion après avoir ordonné l’expulsion de l’occupant (articles L.412-3 et L.412-4 du Code des procédures civiles d’exécution). Après 2009, ce sursis pouvait atteindre trois ans. En 2012, ce délai avait été réduit à un an, avant que la loi ALUR de 2014 ne rétablisse la durée maximale de trois ans ! L’UNPI militait pour la disparition complète de ce délai de sursis, qui s’applique évidemment aux frais exclusifs du propriétaire. Que le juge puisse accorder encore un sursis d’un an alors que, au stade où le juge se prononce, cela fait nécessairement plusieurs mois déjà que le locataire ne paye plus ses loyers, et que de nombreux autres délais retardent déjà l’expulsion du locataire, est inique. Malgré tout, la réduction de ce délai de trois ans à un an est une avancée qu’il faut saluer. Par ailleurs, la loi Kasbarian encadre un peu plus l’office du juge en la matière. Il est désormais expressément précisé qu’un sursis à l’expulsion ne peut être accordé au bénéfice d’un squatteur (au sens strict, c’est-à-dire à la personne entrée dans les lieux par fraude) ou d’un locataire « de mauvaise foi ». Derrière cette expression, qui n’est pas définie par la loi, il semble que le législateur ait voulu priver de protection les locataires qui ne payent plus leur loyer sans que ces impayés s’expliquent par une situation financière exsangue. L’expression demeure d’un maniement difficile et il n’est pas certain que la loi Kasbarian apporte ici grand-chose. En l’état du droit actuel, l’article L.412-4 du CPCE prévoit déjà que le juge tient « compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations ». En revanche, la loi Kasbarian est plus novatrice en ce qu’elle intègre des considérations liées à la bonne ou « mauvaise foi » de l’occupant pour le bénéfice du délai de principe de deux mois après lequel un commandement d’avoir à quitter les lieux peut produire ses effets. Ainsi, désormais, ce délai « ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate la mauvaise foi de la personne expulsée ». Dans cette hypothèse, comme d’ailleurs après un squat (le droit est fixé sur ce point depuis plusieurs années), il pourra être procédé à l’expulsion d’un occupant de mauvaise foi sans attendre deux mois après la signification d’un commandement d’avoir à quitter les lieux (article L.412-1 du CPCE).

 

Renforcement (léger) de l’efficacité des clauses résolutoires de plein droit

La loi Kasbarian apporte plusieurs améliorations concernant le début de la procédure d’expulsion. Aucune d’entre elles ne sont décisives ; toute procédure d’expulsion restera un calvaire. Elles vont néanmoins dans le bon sens. Tout d’abord, l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 énonce désormais que « tout contrat de bail d’habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ». Autrement dit, peu importe qu’on ait oublié d’intégrer une clause résolutoire dans le bail, peu importe que l’on n’ait pas acheté un bail « UNPI », il faut considérer que, dans tous les cas, ce bail contient une telle clause résolutoire (1). En second lieu, il est dorénavant indiqué que la clause résolutoire produit (en principe…, voir ci-après) ses effets lorsque l’impayé persiste six semaines, contre deux mois auparavant. En troisième lieu, l’assignation aux fins de constat de la résiliation doit être notifiée au préfet au moins six semaines avant l’audience, contre deux mois jusqu’ici.(2) En quatrième lieu, si le juge peut accorder des délais de paiement pouvant atteindre trois ans, c’est désormais « à la condition que le locataire (…) ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Par ailleurs, mais la condition était déjà posée, le juge doit avoir constaté que le locataire est « en situation de régler sa dette locative ». Rappelons ici que l’octroi de délais de paiement par le juge n’est pas une faculté, mais une obligation dans la plupart des cas d’ouverture d’une procédure de surendettement (article 24, VI de la loi du 6 juillet 1989). On en arrive à un point crucial. Aujourd’hui, la clause résolutoire a perdu une grande part de son intérêt parce que, comme l’indique l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 depuis l’origine (une époque où l’article 24 comportait trois petits paragraphes contre une quinzaine aujourd’hui), l’octroi de délais de paiement par le juge suspend de droit les effets de la clause résolutoire. Le texte initial de la proposition de loi Kasbarian, tel que déposé à l’Assemblée nationale en octobre 2022, comportait une mesure assez révolutionnaire puisqu’il supprimait les dispositions liant la suspension des effets de clause résolutoire à l’octroi de délais de paiement. Autrement dit, dans ces conditions, l’octroi de délais de paiement pouvait avoir pour seule conséquence de protéger l’occupant contre toute saisie immédiate, l’expulsion restant néanmoins acquise. Comme on pouvait s’y attendre, cette mesure a fait long feu. Le texte définitif de la loi Kasbarian comporte toutefois une amélioration, dans le sens où, désormais, la suspension des effets de la clause résolutoire n’est plus automatique en cas d’octroi de délais, mais relève du pouvoir du juge. Ainsi, « les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais accordés par le juge ». Même si on peut penser que cela ne va pas changer grand-chose, on peut penser qu’il y aura des cas où le juge accordera des délais sans préciser que la résiliation du bail est suspendue. Par ailleurs, le texte précise que la suspension des effets de la clause résolutoire suppose une demande expresse de l’occupant assigné en expulsion. Enfin, et comme pour l’octroi des délais, la suspension est conditionnée au « versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Dans tous les cas, selon une formulation plus claire que la précédente (en particulier en ce qui concerne l’impact d’un nouvel impayé), la « suspension prend fin dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge » (article 24, VII de la loi du 6 juillet 1989).

 

À VENIR 

Les critères d’indemnisation en cas de refus de l’État de concourir à l’exécution d’un jugement d’expulsion fixé à l’avenir par décret

On sait que l’État engage sa responsabilité en cas de refus de prêter son concours à l’exécution d’un jugement d’expulsion. Dans ce cas, les propriétaires lésés peuvent engager un recours indemnitaire contre l’État. Cependant, les préfectures ont pris l’habitude d’accorder des indemnisations amiables, des formulaires d’indemnisation étant même disponibles sur le portail internet de certaines préfectures. Or, la loi Kasbarian prévoit que, à l’avenir, « les modalités d’évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d’exécuter une mesure d’expulsions[er]ont précisées par décret en Conseil d’État » (nouvel alinéa ajouté à l’article L.153-1 du Code des procédures civiles d’exécution, article qui prévoit un « droit à réparation » en cas de refus de l’État de prêter son concours à l’exécution d’une décision de justice).

 

Que penser de cette réforme ?

S’il s’agit d’uniformiser le mode de calcul des indemnités amiables accordées aux quatre coins du territoire, en reprenant les solutions retenues par le juge administratif, c’est une bonne chose. Le rapporteur de la Commission des lois du Sénat critique ici une « inégalité de traitement » et un manque « de lisibilité », qui peut expliquer que, comme rapporté par un député, « seuls 53,8 % des propriétaires qui y auraient droit feraient une demande d’indemnisation auprès du préfet » (1). Cependant, tel qu’est libellé l’alinéa ajouté par la loi Kasbarian, ne peut-il s’agir aussi de limiter le montant que peut réclamer les propriétaires, même devant le juge administratif ? L’UNPI sera évidemment très vigilante sur la façon dont le décret sera rédigé.

 

Pénalisation de l’occupation après la fin du bail

La loi Kasbarian introduit dans le Code pénal un nouvel article 315-2 aux termes duquel « le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux depuis plus de deux mois est puni de 7 500 euros d’amende ». Jusqu’ici, seuls les squatteurs (au sens strict !) tombaient sous le coup de la loi pénale. Au cours de ses auditions, l’UNPI s’est elle-même étonnée de cette nouvelle pénalisation d’occupants qui, certes se maintiennent irrégulièrement dans les lieux, mais disposaient au départ d’un bail. De son point de vue, il est important de bien distinguer le cas des squatteurs et celui des locataires devenus occupants sans droit ni titre (notamment après la résiliation du bail pour impayés). Dans ce dernier cas, c’est davantage la rapidité des opérations d’expulsion qui importe aux bailleurs. Nul besoin, même si certaines situations d’impayés sont liées à la mauvaise foi du locataire, que la réglementation comporte un aspect punitif. On pouvait penser que cette disposition allait être censurée par le Conseil constitutionnel. Très curieusement, alors qu’ils ont pourtant développé toutes sortes d’inepties au nom du « droit au logement », les députés qui ont saisi les juges de la rue Montpensiern’ont pas critiqué l’article 315-2 en projet. Les Sages n’ont pas décidé non plus d’examiner d’office cet article. Il reste que la création de ce nouveau délit n’aura sans doute pas un grand impact en pratique. La crainte de se voir infligé une amende jusqu’à 7 500 € par le tribunal correctionnel va-t-il accélérer le départ d’occupants sous le coup d’une expulsion ? Les procureurs diligenteront-ils des poursuites contre les auteurs du délit ? Par ailleurs, la loi Kasbarian exclut des poursuites dans diverses hypothèses. Le délit de maintien sans droit ni titre est ainsi écarté pendant la trêve hivernale, dès lors que l’occupant a demandé un sursis (« jusqu’à la décision rejetant la demande ou jusqu’à l’expiration des délais accordés par le juge à l’occupant »), ou « lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public » (article 315-2, alinéa 2 du Code pénal).

 

Améliorations techniques (intervention des services sociaux, de la CCAPEX, etc.)

Sans entrer dans le détail, signalons ici que la loi Kasbarian comporte plusieurs simplifications techniques. Cela concerne par exemple les seuils d’impayés au-delà desquels les commandements de payer doivent être signalés aux commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, le fonctionnement et les missions des CCAPEX, ou encore l’intervention des services sociaux à la demande du préfet.

 

Amélioration de la lutte contre les squats

La lutte contre les squats est le second objectif principal poursuivi par la loi Kasbarian. Comme le soulignait l’exposé des motifs de la loi, « 64 % des propriétaires bailleurs ne détiennent qu’un seul logement en location (3). Les petits propriétaires sont une réalité, et un tiers d’entre eux sont des retraités. Les revenus qu’ils tirent de leur bien en location sont absolument indispensables pour leur garantir une retraite sereine. Ils n’ont pas, comme les gros bailleurs, les moyens de faire protéger leurs logements des squatteurs par des entreprises de surveillance, ou de faire gérer leurs biens par des tiers ».

 

Le squat des locaux à usage d’habitation, commercial, agricole ou professionnel dorénavant incriminé

La loi Kasbarian débute en fanfare avec l’introduction dans le Code pénal d’un nouveau chapitre incriminant « l’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel ». Ainsi, « l’introduction dans un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l’aide de manoeuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Le maintien dans le local à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines » (nouvel article 315-1 du Code pénal). De prime abord, cette réforme ne parait pas si novatrice que ça dans la mesure où le délit de violation de domicile (voir ci-après) pouvait déjà être utilisé par des tribunaux pour appréhender par exemple les personnes entrées par effraction dans les locaux d’une entreprise (même les locaux d’une personne morale peuvent être qualifiés de « domicile »). Elle parait néanmoins très utile pour plusieurs raisons. D’une part, malgré ce qui vient d’être dit, le terme « domicile » pouvait décourager les forces de police d’intervenir pour autre chose qu’un logement. D’autre part, dans tous les cas, la notion de « domicile » ne peut recouvrir que des locaux meublés, à l’exclusion des locaux vacants. Puisque le nouvel article 315-1 vise tout « local » (à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel), il semble bien que le squat de ce type de locaux, même vacants, pourra être appréhendé, ce qui est très important. En effet, il faut bien comprendre que, jusqu’ici, le Code pénal n’incrimine pas en soi le fait d’occuper la propriété d’autrui. Dès lors, sauf s’il s’agit d’un domicile ou si des dégradations ont été commises (qui, elles, sont réprimées par le Code pénal), la victime ne pouvait qu’introduire une action civile, sans le concours évidemment ni de la police ni du procureur. Par ailleurs, puisque le maintien aussi bien que l’introduction frauduleuse sont incriminés, il n’est en principe pas question d’un délai de flagrance dans lequel il faudrait nécessairement intervenir. Notons que, pour permettre d’appréhender en soi toute violation d’une propriété privée, la députée Annie Genevard a d’abord proposé d’assimiler l’occupation frauduleuse de tout immeuble à un « vol », ce qui aurait permis d’appliquer en cette matière les sanctions prévues par l’article 311-3 du Code pénal pour le vol. Le choix a finalement été fait d’introduire un délit spécifique, avec des sanctions (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende) un peu plus légères que pour le vol (puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende). Par ailleurs, on peut regretter que le texte final impose à la victime de démontrer l’existence « de manoeuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte » de la part du squatteur. Au cours de la discussion, un renversement de la charge de la preuve a été envisagé. Comme le demandait l’UNPI, il était question que ce soit à la personne poursuivie de démontrer qu’elle est en possession d’un titre. C’est une difficulté dont la victime d’un squat se serait bien passée. Il reste que la loi Kasbarian représente ici une avancée notable.

 

Clarification et durcissement de l’infraction de violation de domicile

Comme nous l’avons vu, le fait de squatter le domicile d’autrui était déjà incriminé par l’article 226-4 du Code pénal. Seulement, il n’était pas normal qu’un squatteur encourt dans ce cadre une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende, lorsque le propriétaire qui expulserait un occupant manu militari encourt trois ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende (article 226-4-2 du Code pénal). Plusieurs tentatives ont été menées pour aligner les deux séries de peines. La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale, notamment, contenait une disposition en ce sens mais celle-ci a été censurée par le Conseil constitutionnel pour un vice de procédure. C’est chose faite avec la loi Kasbarian qui porte les sanctions de la violation de domicile à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Par ailleurs, la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite clarifie le domaine d’application de ce délit. Ainsi, un nouvel alinéa est ajouté, qui précise que « constitue notamment le domicile d’une personne, au sens du présent article, tout local d’habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non ». Même si les tribunaux avaient déjà apporté ces précisions, il est toujours mieux de l’écrire alors que, concernant la procédure devant le préfet pour faire cesser le squat d’un domicile (voir ci-après), la protection — dans ce cadre — des logements occupés comme résidence secondaire a déjà été inscrite par la loi ASAP du 7 décembre 2020 (voir 25 millions de Propriétaires, mars 2021, page 26). Qu’il s’agisse des dispositions relatives au squat ou de celle relatives à l’expulsion, aucun des arguments des députés de la NUPES n’a fait mouche devant le Conseil constitutionnel. On peut cependant signaler que les Sages ont émis une réserve d’interprétation concernant la nouvelle précision du délit de violation de domicile. Si la loi peut aujourd’hui énoncer que constitue notamment le domicile d’une personne tout logement contenant des meubles lui appartenant, les Sages précisent que, à l’inverse, « la présence de tels meubles ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits et des peines, permettre, à elle seule, de caractériser le délit de violation de domicile. Il appartiendra dès lors au juge d’apprécier si la présence de ces meubles permet de considérer que cette personne a le droit de s’y dire chez elle » (décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, paragraphe n° 49).

 

Extension de la procédure devant le préfet pour faire cesser une occupation illicite aux logements vacants

Depuis 2007, il est possible de saisir le préfet aux fins d’obtenir l’expulsion rapide (sans action judiciaire) des personnes ayant squatté un « domicile » (article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable). Cette procédure a été notablement améliorée par la loi ASAP évoquée ci-dessus. L’UNPI dénonçait largement le fait que cette procédure ne pouvait être mobilisée dans le cas d’un logement devenu vacant dans le cadre par exemple d’une vente, d’un changement de locataire, d’une succession, etc. (voir 25 millions de propriétaires, juillet-aout 2021, page 21). La loi Kasbarian comporte ici une avancée de tout premier ordre. En effet, il est désormais précisé que le préfet peut être saisi en cas de violation de domicile mais, également, en cas d’entrée frauduleuse « dans un local à usage d’habitation ». Ainsi, comme le note le sénateur André Reichardt, auteur de l’amendement à l’origine de cette réforme, seront par exemple « éligibles à la procédure d’évacuation forcée les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou juste après l’achèvement de la construction, avant que le propriétaire n’ait eu le temps d’emménager »(4). Comme par le passé, il est nécessaire de déposer plainte au commissariat avant de saisir le préfet. Puisque le squat de tout « local d’habitation »(même ne constituant pas un domicile, parce que non meublé) est désormais pénalement sanctionné (voir ci-dessus), la boucle est bouclée ! Il reste évidemment à voir comment, en pratique, les préfets « joueront » le jeu. Par ailleurs, la procédure devant le préfet comporte quelques particularités lorsqu’il s’agit de mettre fin au squat d’un local d’habitation qui n’est pas un « domicile ». Dans ce cas, lorsque le préfet met en demeure l’occupant de quitter les lieux, il doit lui laisser un délai d’au moins 7 jours pour s’exécuter (contre 24 heures pour un domicile). Par ailleurs, le seul fait pour le squatteur de saisir le juge administratif en référé suspend l’exécution de la décision du préfet (5).

 

Amélioration de la procédure devant le préfet pour faire cesser le squat d’un logement

Au-delà de cette importante réforme, la loi Kasbarian améliore sur divers points la procédure d’expulsion accélérée devant le préfet. Notamment, jusqu’ici, avant de saisir le préfet, lavictime devait avoir « fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire » (article 38 de la loi du 5 mars 2007). Désormais, elle pourra également faire constater le squat « par le maire ou par un commissaire de justice ». Par ailleurs, dorénavant, « lorsque le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison de l’occupation, le représentant de l’État dans le département sollicite, dans un délai de soixante‑douze heures, l’administration fiscale pour établir ce droit ». A l’inverse, on peut regretter fort que, désormais, il est indiqué que le préfet prend sa décision « après considération de la situation personnelle et familiale de l’occupant ». On peut craindre le pire avec ce type de condition ouverte. Des préfets s’en serviront sans doute pour refuser de mettre en demeure des squatteurs alors qu’un propriétaire ou son locataire a besoin de récupérer urgemment son logement. Hélas, le législateur avait ici les mains liées. En effet, il n’a fait que prendre acte d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel le 24 mars dernier. Saisis d’une QPC, les Sages ont conclu à la constitutionnalité de l’article 38 de la loi de 2007 (tel que modifié en 2020) sous la réserve d’interprétation suivante : « ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d’intérêt général. Toutefois, elles ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée » (décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023).

 

Alourdissement des sanctions contre les arnaqueurs au « faux bail »

Dans plusieurs affaires ayant défrayé la chronique ces dernières années, c’est à la suite d’un faux bail proposé par un faux propriétaire que des occupants se sont installés dans le logement d’autrui. Or, comme le note le député Kasbarian dans un rapport fait au nom de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, de tels marchands de sommeil peuvent difficilement être poursuivis via le délit d’escroquerie. Aussi, au cours de son examen, la proposition de loi Kasbarian a intégré la création d’un nouveau délit réprimant le fait de se faire passer faussement pour un propriétaire. Finalement, à la suite d’un amendement du sénateur André Reichardt, le choix a été fait de tripler les sanctions d’un délit déjà prévu par le Code pénal à l’article 313-6-1 du Code pénal. Ainsi, « le fait de mettre à disposition d’un tiers, en vue qu’il y établisse son habitation moyennant le versement d’une contribution ou la fourniture de tout avantage en nature, un bien immobilier appartenant à autrui, sans être en mesure de justifier de l’autorisation du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d’usage de ce bien » sera désormais puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. La rédaction de cet article assez méconnu prête à confusion. En le lisant, on a l’impression qu’il réprime toute sous-location non autorisée. Cependant, depuis sa création en 2003, cette disposition n’est effectivement utilisée que pour poursuivre des marchands de sommeil, non des locataires en titre qui sous-louent sans autorisation.

 

Censure du Conseil constitutionnel concernant la mise à l’écart de la responsabilité du propriétaire après la fin du bail ou en cas de squat

Dans une décision largement commentée ces derniers mois, la Cour de cassation a conclu à laresponsabilité du propriétaire dans une affaire où, un garde-corps s’étant descellé, le locataire avait fait une chute, alors même que le locataire avait vu son bail résilié depuis un an par décision de justice. Dans un attendu général, la Cour a jugé que « l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier par la victime ne peut constituer une faute de nature à exonérer le propriétaire du bâtiment au titre de sa responsabilité, lorsqu’il est établi que l’accident subi par cette dernière résulte du défaut d’entretien de l’immeuble » (Civ. 2e, 15 septembre 2022, n° 19-26.249). Comme l’indique le rapporteur Kasbarian, « au-delà du cas d’espèce qui concernait une personne dont le bail avait été résilié par un juge », cette solution pourrait valoir « également pour les cas de « squat » pur ». « En vertu de cette jurisprudence, non seulement l’occupant qui se maintient dans un bien immobilier en violation du droit de propriété et d’une décision de justice est exonéré de toute responsabilité dans son accident, mais il peut en outre demander avec succès une indemnisation au propriétaire pour des sommes considérables : à titre d’exemple, dans l’affaire en question, les montants s’élèvent provisoirement à plus de 60 000 euros. Cette décision témoigne d’une tendance générale dans les décisions judiciaires qui suscitent l’émotion publique tant elles peuvent sembler, bien qu’elles soient fondées en droit, contraires au bon sens et à la conception commune de la justice » (6). Aussi, à l’article 1244 du Code civil, qui prévoit le principe de responsabilité du propriétaire en cas de défaut d’entretien, la loi Kasbarian entendait ajouter un alinéa aux termes duquel « l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier. Le bénéfice de l’exonération de responsabilité mentionnée au présent alinéa ne peut s’appliquer lorsque les conditions d’hébergement proposées par un propriétaire ou par son représentant sont manifestement incompatibles avec la dignité humaine, au sens de l’article 225‑14 du code pénal (7) ». Cette dernière exception ne vise que l’hypothèse particulière d’un marchand de sommeil avéré qui aurait « proposé » à la location un logement éminemment indigne — elle ne peut donc pas concerner des squatteurs — avant d’obtenir, plus tard, la résiliation du bail. Hélas, alors qu’il a validé toutes les autres dispositions contestées de la loi, le Conseil constitutionnel a émis une censure sur ce point. On a du mal à suivre les Sages dans leur motivation. Il semble que ce soit surtout le second aspect du texte, concernant le déplacement de la responsabilité du propriétaire sur la tête de l’occupant en cas de dommage à un tiers, qui a posé problème. Ainsi, alors que le régime de responsabilité de plein droit du propriétaire en cas de ruine « a pour objet de faciliter l’indemnisation des victimes, les tiers ne peuvent, dans ce cas, exercer une action aux fins d’obtenir réparation de leur préjudice qu’à l’encontre du seul occupant sans droit ni titre, dont l’identité n’est pas nécessairement établie et qui ne présente pas les mêmes garanties que le propriétaire, notamment en matière d’assurance » (décision précité du 26 juillet 2023, n° 74). La réforme intéressante de l’article 1244 par le Code civil est donc censurée, mais pourra peut-être revenir sous une autre forme. C’est d’ailleurs ce que viennent de souligner les Sages dans un communiqué du 29 juillet 2023. De manière assez inédite, le Conseil constitutionnel a voulu répondre aux nombreuses critiques soulevées immédiatement après sa censure. Tout d’abord — et cela est vrai —, ce dernier n’a pas « décidé » que, désormais, tout squatteur pouvait reprocher au propriétaire un défaut d’entretien. La seule portée de sa décision est « de maintenir l’état du droit en ce domaine ». Par ailleurs, ce dernier ne serait pas « celui décrit par ces commentateurs ». Il y a pourtant bien la décision de la Cour de cassation du 15 septembre  2022 précitée. Les Sages suggèrent-ils que les juges ne pourraient condamner le propriétaire sans une situation de squat (au sens strict) ? En tout état de cause, « les motifs de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel ne privent pas le législateur de la possibilité de réformer ce même état du droit pour aménager la répartition des responsabilités entre le propriétaire et l’occupant illicite », dès l’instant, néanmoins, que « demeurent protégés les droits des tiers victimes de dommages » (8).

Pérennisation des contrats de résidence temporaire

La loi ELAN de 2018 avait prolongé jusque fin 2023 et « à titre expérimental » un ancien « dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l’occupation de résidents temporaires » (article 29). Ce dispositif fait intervenir deux contrats : un premier contrat entre un propriétaire et un organisme agréé par l’Etat, et un contrat de résidence temporaire entre l’organisme agréé et des personnes en difficulté. L’organisme s’engage envers le propriétaire à entretenir et protéger (contre les intrusions) les locaux mis à disposition. Via le contrat de résidence temporaire, l’organisme peut loger temporairement des personnes moyennant une redevance maximale de 200 € par mois, quitte à faire les aménagements nécessaires pour rendre le local considéré habitable. Le rapporteur de la Commission des lois du Sénat a regretté qu’il y ait « peu de données disponibles » sur ce dispositif, « le Gouvernement ne s’étant, fort regrettablement, que partiellement acquitté la fonction de « suivi » et d’« évalu[ation] » du dispositif que lui confiait l’article 29 de la loi Élan ». Selon des chiffres très approximatifs obtenus par le rapporteur, « depuis la création du dispositif en 2009, environ 1 000 bâtiments ont fait l’objet d’une convention d’occupation temporaire de locaux, permettant d’héberger près de 10 000 personnes ». Malgré tout, « au vu de ces éléments d’évaluation encourageants (9) », des amendementsvisant à pérenniser le dispositif ont été adoptés. La loi Kasbarian supprime donc son aspect expérimental et la date limite de fin 2023. Quelques améliorations sont par ailleurs apportées. Même si cela ne faisait pas de doute, l’application de la loi du 6 juillet 1989 concernant l’occupation des locaux par les résidents temporaires est expressément écartée. Par ailleurs, en cas de maintien dans les lieux après le terme du contrat de résidence temporaire, l’expulsion peut être sollicitée auprès du juge par une simple requête. Enfin, les opérations d’expulsion peuvent avoir lieu moins de deux mois après la notification du commandement d’avoir à quitter les lieux.