Le risque argile Menace sur les maisons individuelles

EXAMEN — Le risque est connu de longue date, mais il restait très souvent négligé jusqu’à une époque récente. Le réchauffement climatique est passé par là. Avec les sécheresses à répétition, le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) provoque de plus en plus de sinistres et inquiète très sérieusement les pouvoirs publics. En France, plus d’une maison sur deux est concernée par ce risque.

Des carrelages qui se décollent, des enduits qui se lézardent, des canalisations endommagées, des fissures plus ou moins grosses qui apparaissent sur les murs de la maison… Les symptômes sont bien connus. Le mal aussi. Le phénomène de retrait-gonflement d’argile est identifié des experts depuis les années 1950. Sous l’effet de la sécheresse, les argiles du sol se rétractent, elles perdent de leur volume, puis lorsque les fortes pluies reviennent, se mettent au contraire à gonfler. Retrait-gonflement, les sols bougent, et à force, le bâtiment finit par se fissurer. Les dégâts peuvent être immédiats et apparaître dans les semaines qui suivent une sécheresse, ou au contraire, ils peuvent se révéler au bout de plusieurs mois, et même des années, après une énième sécheresse. En moyenne, France Assureurs, anciennement Fédération française de l’assurance, recense près de 30 000 sinistres par an. C’est une moyenne. Car depuis la fin des années 2010, le nombre de sinistres a tendance à exploser. Les sécheresses récurrentes font mal au bâti. Pour se faire une idée, l’été 2022, particulièrement chaud, aura coûté la bagatelle de 2,9 milliards d’euros aux assureurs : du jamais vu, trois fois plus qu’une année dite « normale ».

 

Une facture de plus en plus salée

Et plus on avance, plus le nombre de sinistres augmente. Inexorablement. France Assureurs a déjà comptabilisé quatre fois plus de demandes d’indemnisation sur la période 2015-2020 qu’au cours de la période 2010-2014 ! Et avec le réchauffement climatique qui nous promet des étés de plus en plus chauds dans les prochaines décennies, on est loin d’en avoir fini avec ce fléau. Certes, les fissures peuvent se reboucher, les carrelages se recoller, les canalisations être réparées, mais le phénomène coûte cher. Les assureurs ont fait les comptes et tirent la sonnette d’alarme : selon leur étude publiée en 2022, le montant des indemnisations liées au phénomène de retrait gonflement des argiles devrait tripler pour atteindre 43 milliards d’euros en cumulé d’ici 2050 ! Au point que l’actuel régime de catastrophe naturelle pourrait rapidement être dépassé comme l’a relevé la Cour des comptes dans un autre rapport lui aussi sorti en 2022. Pourtant, on ne parle que des sinistres indemnisés, autrement dit ceux survenus dans les communes reconnues en état de catastrophe naturelle, procédure fastidieuse dont l’issue est loin d’être toujours favorable. Le coût réel lié aux argiles du sol est sans doute bien plus important. Pour se faire une idée, en 2020, moins de la moitié des demandes de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle (48,9 %) ont été accueillies favorablement. Par ricochet, la multiplication des sinistres liés au retrait-gonflement d’argile s’accompagne donc d’une inflation de contentieux, lorsque les propriétaires ne parviennent pas à se faire indemniser auprès de leur compagnie.

 

Plus d’une maison sur deux menacée en France

Face au fléau, l’État a déjà renforcé l’information et la prévention. Depuis 2020, une étude géotechnique est désormais exigée en cas de vente de terrain à bâtir dans une zone à risque, afin d’adapter la construction et les fondations au sous-sol. Malheureusement, pour les constructions sorties de terre jusqu’à la fin des années 2010, le risque n’a peut-être pas été pris en considération et il ne figure pas non plus dans l’information des acquéreurs locataires, exigée en cas de vente ou de location. Une grande partie du parc français est pourtant directement exposée. L’État a dessiné une carte d’exposition au risque accessible depuis le site officiel www.georisques.gouv.fr. Quiconque peut savoir si sa maison a été construite sur un terrain argileux avec un risque faible, modéré ou important en renseignant son adresse postale dans le champ « adresse exacte ». Résultat, sur les 19,6 millions de maisons individuelles recensées en France, 10 millions sont aujourd’hui directement concernées, dont 4 millions jugées comme « très exposées » selon les pouvoirs publics. Le sujet est suffisamment inquiétant pour que les pouvoirs publics s’en emparent. En témoigne l’abondante littérature produite depuis deux à trois ans : un rapport de la Cour des comptes, une mission parlementaire, plusieurs propositions de loi… Même Matignon semble aussi préoccupé. En avril, la Première ministre a confié une mission temporaire au député du Nord Vincent Ledoux pour plancher sur la réparation, l’indemnisation, mais aussi la prévention des retraits-gonflements d’argiles. Cette mission doit s’achever à l’automne et son rapport inspirera sans doute de futures évolutions pour ce phénomène, notamment en matière de prévention et d’indemnisation des sinistres.

 

PRATIQUE

Connaître le risque RGA chez soi

Plusieurs sites officiels permettent d’en savoir davantage sur le risque de retrait-gonflement d’argile. Le site georisque.gouv.fr propose une information complète sur le sujet.

www.georisques.gouv.fr/risques/retrait-gonflement-des-argiles

Le site Infoterre du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) propose également une carte d’exposition au retrait gonflement des sols argileux qui permet de savoir si sa commune, son quartier est concerné.

https://infoterre.brgm.fr/actualites/exposition-au-retrait-gonflement-argiles

 

Prévenir plutôt que guérir

Le phénomène RGA est-il évitable ? Après tout, puisque l’on connaît la nature des sols, il est peut-être possible de prévenir les mouvements de terrain. Plusieurs techniques existent pour consolider le bâti. Il demeure toutefois un souci de taille : le coût des travaux préventifs reste rédhibitoire, car il sous-entend souvent une reprise des fondations avec une injection de résine ou la pose de micropieux par exemple. Tout dépend de la technique privilégiée, de la nature du terrain, de la construction, mais la facture peut très rapidement se monter à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Au point que le coût de la prévention n’est pas loin d’être le même que le coût d’une réparation après sinistre. Face à l’explosion des sinistres qui paraît inéluctable, un espoir existe cependant pour les millions de propriétaires concernés. Les pouvoirs publics misent aujourd’hui sur des techniques alternatives, moins coûteuses, mais encore expérimentales. Plutôt que d’intervenir sur le bâti, et si on agissait d’abord sur l’environnement pour prévenir les mouvements de terrain liés aux argiles du sol ? Les professionnels parlent de « techniques horizontales » : on intervient sur le terrain et sa végétation à proximité pour limiter en amont la variation de la teneur en eau du sol et éviter l’assèchement du sol. Les retours sont plutôt encourageants, ces techniques fonctionnent, et surtout leur coût apparaît plus raisonnable, de l’ordre de 10 000 euros en moyenne. Cela reste cher, très cher même, mais c’est toujours très inférieur aux travaux de réparation d’une maison touchée par un retrait-gonflement d’argile.