L’encadrement des loyers à l’épreuve des faits - Une analyse critique des incohérences systémiques

Ce mardi 1er juillet, les représentants de l’UNPI (Union nationale des propriétaires immobiliers), de l’UNIS (Union des syndicats de l’immobilier) et du SNPI (Syndicat national des professionnels immobiliers) ont souhaité prendre la parole sur le dispositif d’encadrement des loyers, alors que l’expérimentation arrive à son terme. Un rapport, fruit du travail commun des trois organisations, a été présenté.

L’ENCADREMENT DES LOYERS : DES OBJECTIFS INITIAUX LOUABLES

L’encadrement des loyers a été instauré par la loi ALUR du 24 mars 2014, sous l’impulsion d’une volonté politique de rendre le logement plus abordable pour les ménages modestes, en particulier dans les zones dites "tendues". La loi ELAN du 23 novembre 2018, a supprimé la pérennité du dispositif, en le retirant de la loi du 6 juillet 1989, et créant via son article 140, un dispositif expérimental : une phase d’expérimentation sur cinq ans, prolongée par la loi 3DS du 21 février 2022 jusqu’en 2026. C’est cette expérimentation qui doit être remise en question, et a minima ses paramètres. La philosophie de ce dispositif est parfaitement compréhensible : mieux réguler le marché locatif.

UN DISPOSITIF DONT LA MISE EN APPLICATION A GENERE DES EFFETS PERVERS ET CONTRAIRES AUX OBJECTIFS INITIAUX

Pourtant, là où il a été appliqué, l’encadrement des loyers a généré des effets inverses à ceux escomptés, contredisant les objectifs initiaux. S’il ne s’agit nullement de rejeter par principe toute régulation des loyers, l’UNIS, l’UNPI et le SNPI ont souhaité, exemples à l’appui, pointer les dysfonctionnements majeurs du dispositif dans ses applications locales toujours approximatives, souvent dogmatiques et par conséquent contraire aux principes de notre démocratie, dont celui de l’égalité fiscale. Ce faisant, ils ont pu souligner les effets pervers du dispositif sur le marché locatif.

LES IMPRECISIONS D'UNE DISPOSITIF APPLIQUE DE FACON ALEATOIRE ET OPAQUE SUR LE TERRITOIRE

Aux sources des difficultés, un premier ecueil : l’absence de définition de ce qu’est un loyer “abusif” ou “excessif”. Comment un dispositif peut-il, dans ces conditions, se déployer de façon juste et équilibrée ? Consécutivement, l’ensemble des règles concernant la fixation du loyer, les critères déterminant les zonages et les compléments de loyer souffrent d’imprécisions préjudiciables à l’ensemble de nos concitoyens, locataires et propriétaires. Aussi, et pour exemple, l’encadrement en vient à s’appliquer dans des zones où les loyers sont raisonnables, ou sur des biens dont le loyer ne présenterait aucun caractère “excessif” au regard de la qualité réelle du logement.

Au surplus, inadapté à la diversité des marchés, le dispositif repose sur des données non vérifiables, partielles et incohérentes laissant toute la place à des interprétations floues. Pour exemple, alors que les loyers de référence sont exprimés en euros par mètre carré, les grilles transmises aux préfets ne précisent pas les surfaces moyennes associées aux différentes typologies de logements. Le T1 correspond-il à un bien de 20m2, ou à un bien entre 20 et 30 m2, voire davantage ? Aucune réponse. Le silence reste tout aussi pesant quand il s’agit de savoir comment appliquer le dispositif à certaines typologies spécifiques de biens : studios, T1 bis, mezzanines ou lofts… Fondements imprécis et illisibilité ont compromis les résultats attendus du dispositif. Ils ont aussi et surtout contribué à aggraver l’attrition du marché locatif.

LES PROPRIETAIRES DEMOBILISES ET DEMUNIS, L'INVESTISSEMENT LOCATIF DECOURAGE

Les loyers ont-ils augmenté au point de grever le budget logement des ménages ? Rien n’est moins sûr. On sait, en effet, que les loyers ont évolué certes, mais en deça de l’inflation et moins rapidemment que l’indice IRL. Plus sûrement, rappelons que les salaires ont augmenté moins vite que l’inflation, paupérisant ainsi les locataires. L’encadrement des loyers, mis en place dans un contexte de dégradation de l’économie générale, manque ainsi de fondement et fait peser sur les propriétaires bailleurs une mesure injuste aux conséquences néfastes pour la vitalité du parc locatif.

Avec l’augmentation générale des charges fiscales (dont la taxe foncière), de copropriété et d’énergie, la revalorisation des charges d’assurance, l’augmentation importante des charges de gestion et des coûts d’entretien, et la mise en place de nouvelles réglementations environnementales, les propriétaires bailleurs privés sont découragés. Certains retirent le bien du marché de la location, d’autres choisissent d’autres voies : meublé de tourisme, vente du bien…. Des logements autrefois proposés à la location classique sortent ainsi du marché, en particulier dans les zones déjà tendues. En cause ? Une rentabilité en nette baisse, désormais placée sous le seuil de l’acceptabilité. En bloquant le loyer, on altère le revenu des propriétaires bailleurs sur qui repose pourtant une ambition forte de rénovation du parc locatif, on gèle le marché, on prive les locataires d’une offre en quantité et en quantité, et on décourage à l’entrée les candidats investisseurs.

UNE EVALUATION RIGOUREUSE ET TRANSPARENTE DU DISPOSITIF EST-ELLE ENVISAGEABLE 

Face à ce constat préoccupant, nos trois organisations demandent au gouvernement de conduire une évaluation rigoureuse et transparente de l'expérimentation de l'encadrement des loyers. Il est impératif que la politique du logement soit repensée en cohérence avec les objectifs de rénovation énergétique et de décarbonation du parc immobilier, sans sacrifier l’équilibre du marché locatif. Elles réaffirment leur opposition à ce dispositif inadapté et appellent à l'élaboration de solutions plus pragmatiques, capables d'assurer à la fois la protection des locataires et la préservation d’une offre locative suffisamment large, de qualité et économiquement viable.

DES PISTES ALTERNATIVES POUR UNE REGULATION JUSTE ET EFFICACE

Plutôt que de rejeter toute forme d’encadrement, les professionnels et représentants des propriétaires souhaitent aujourd’hui ouvrir le débat sur des solutions plus équilibrées, plus ciblées, et réellement efficaces pour répondre aux tensions locatives sans asphyxier l’offre ni décourager l’investissement.

▶️ Remettre le bon sens au coeur du dispositif
Il est essentiel de :
• reconnaître que tous les marchés locaux ne se valent pas,
• tenir compte de la qualité réelle des logements,
• encourager les propriétaires qui investissent, entretiennent, rénovent.
Cela suppose un cadre modulable, qui laisse une marge d’appréciation, plutôt qu’une grille rigide et uniforme.

▶️ Rendre possible une modulation intelligente des loyers
Propositions concrètes :
• intégrer un bonus de loyer encadré en cas de rénovation énergétique significative ;
• reconnaître explicitement des compléments de loyer standardisés, pour certaines caractéristiques clairement définies (terrasse, vue, double exposition, standing…),
• simplifier les procédures de justification, pour éviter le contentieux systématique.

▶️ Mettre fin à l’insécurité juridique
Une réforme doit viser à :
• clarifier les règles, en publiant un guide opposable aux parties et aux juges,
• garantir la stabilité des règles pendant toute la durée du bail (éviter les effets rétroactifs),
• instaurer un droit au complément de loyer justifié, contrôlé en amont et non révisable a posteriori sauf fraude manifeste.

▶️ Encourager la rénovation plutôt que la pénaliser
Il est urgent d’articuler les objectifs de transition énergétique avec ceux de la politique du logement :
• autoriser un ajustement du loyer plafonné en fonction de l’investissement réalisé (avec justificatifs à l’appui),
• renforcer les dispositifs incitatifs, mais surtout, en permettre l’amortissement locatif.

▶️ Renforcer la transparence plutôt que la contrainte
Enfin, plutôt qu’un encadrement autoritaire, pourquoi ne pas :
• développer des observatoires locaux ouverts et régulièrement mis à jour,
• inciter les professionnels à publier des fourchettes de loyers par quartier, en lien avec les DPE, la qualité de l’immeuble, etc.,
• valoriser les bailleurs exemplaires, plutôt que de les mettre tous dans le même panier.

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