Rouen : le réveil de la belle endormie

Trop longtemps complexée, la capitale (du moins officielle) de la Normandie réunifiée se réconcilie peu à peu avec elle-même, à l’image de la reconquête - certes tardive, mais bel et bien entamée - des berges de son fleuve nourricier : la Seine. Alors que les professionnels évoquent un marché particulièrement dynamique mais insuffisamment homogène, la Métropole Rouen Normandie souhaite la production de 3000 logements neufs par an jusqu’en 2017.

« J’ai le sentiment que Rouen est en train de changer de cour de récré ». Voilà qui résume, dans la bouche de Paule Valla, directrice générale adjointe en charge de l’urbanisme et de l’habitat de la Métropole Rouen Normandie, la situation d’un marché immobilier en plein regain de dynamisme.

Longtemps qualifiée de « belle endormie », victime d’un complexe d’infériorité au regard de sa proximité avec Paris, capitale contestée dans le cadre de la réunification de la Normandie, la ville aux cents clochers rattrape aujourd’hui son retard en termes d’attractivité.

Les indicateurs immobiliers le démontrent : sur le premier semestre 2015, la Métropole de Rouen figurait parmi les secteurs les plus dynamiques de France pour ce qui est de l’activité en promotion immobilière, avec une progression de + 48 % de ventes nettes au regard du premier semestre 2014. Un chiffre qui place l’agglomération normande et ses presque 500 000 habitants au même rang que Nantes ou encore Lyon.

« La reprise est là, le nombre de transactions a nettement augmenté : nous avons eu en 2015 entre 15 et 20 % d’activité supplémentaire par rapport à l’année précédente, en ce qui concerne la vente », confirme Brieuc Legay, président de la FNAIM Normandie, pour le secteur de la Métropole rouennaise. « Et il n’existe pas, à l’heure actuelle, de signe annonciateur d’un changement de posture du marché ».

Prix des appartements neufs et anciens Rouen et Métropole

Source : Min.not, conjoncture immobilière en Seine-Maritime entre le 1er septembre 2014 et le 31 août 2015

La crainte d’un « effet ciseaux »

À l’échelle de cette région normande, d’après les chiffres du troisième trimestre 2015 de l’observatoire Olonn (Observatoire du logement neuf des régions normandes), Rouen et Caen présentent des profils similaires en terme de production de logements : 266 mises en vente et 93 ventes en ce qui concerne la capitale régionale et son agglomération.

Ce troisième trimestre, « période charnière » aux yeux de Frédéric Alves, président de la FPI de Normandie, rassurera en principe ce dernier, jusqu’alors inquiet de « l’effet ciseaux » entre un nombre croissant de ventes (+ 48 % entre le premier semestre 2014 et 2015, avec 330 ventes) et à l’inverse des mises en vente à la baisse (- 15 % sur un an, avec 417 mises en vente). « Le risque, c’est la pénurie », commente Frédéric Alves. Or, ce qui freine aujourd’hui l’activité des promoteurs dans l’agglomération rouennaise, selon lui, c’est « le manque de terrains disponibles, les recours des particuliers, la difficulté à faire sortir les projets : un permis met aujourd’hui beaucoup plus de temps à sortir qu’avant ».

De son côté, la Métropole - dirigée par le maire du Petit-Quevilly Frédéric Sanchez depuis sa création officielle en tant que collectivité territoriale, au 1er janvier 2015 - se félicite d’un PLH (Programme local de l’habitat) 2012-2017 qui, à l’heure actuelle, « a atteint ses objectifs de production dans un contexte de crise nationale », dixit Paule Valla. Soit près de « 8 600 logements mis sur le marché de l’habitat » au troisième trimestre 2015, pour un objectif de 9 000 à mi-parcours et la volonté ultime d’atteindre 18 000 logements à l’issue de ce PLH. « Nous visons une augmentation de population de + 0,4 % par an », précise la directrice générale adjointe en charge de l’urbanisme et de l’habitat.

Une production tirée par le logement social

La production, reconnaît par ailleurs cette dernière, a été « beaucoup tirée par le logement social ». Le PLH 2012-2017 de la Métropole Rouen Normandie devrait en effet se conclure avec un chiffre de 8 300 logements sociaux livrés (dont près de 5 000 qui le seront sur la seule période 2015-2017), soit 41 % de la production totale voulue et accompagnée par le programme local de l’habitat.

De quoi faire bondir un peu plus Michel Jacquet, président de l’UNPI régionale, pour qui cette « surproduction » du parc public met en danger l’investissement locatif privé, déjà confronté à « une baisse des loyers très significative ».

En l’occurrence, « nous constatons également un redémarrage sur l’activité location », affirme Brieuc Legay, du fait « de la baisse des loyers et de l’augmentation de la qualité des logements ». Les prix oscillent actuellement autour de 10 €/m2 « pour un appartement en bon état » sur le secteur de Rouen centre rive droite, par nature l’un des plus onéreux. Mais de fait, face à « une rentabilité devenue tellement faible, le marché locatif s’effondre dans l’ancien », ajoute le président de la FNAIM Normandie. L’observatoire Clameur fait état d’une baisse globale d’environ 4 % des loyers en 2015 dans la ville de Rouen, où le prix moyen pouvait varier, au deuxième semestre 2015, d’environ 9,5 €/m2 en centre-ville rive gauche à presque 13,8 €/m2 sur les hauteurs de la rive droite, dans le quartier Grieu-Vallon Suisse. De manière générale, « la ville de Rouen est une mosaïque de micro-marchés », assure Brieuc Legay.

Un marché en phase

Ce constat se partage également dans le domaine des ventes, où « l’on peut passer du simple au double, selon que l’on se dirige vers le quartier Saint-Marc ou Saint-Gervais », indique le représentant de la FNAIM. « Ce n’est pas un problème, d’ailleurs, cela permet à tout le monde de trouver un bien ». Alors que les durées de transactions se sont raccourcies (souvent moins de deux mois), « un vendeur qui se fie à l’estimation donnée a toutes les chances, aujourd’hui, de vendre rapidement », explique Brieuc Legay.

« Ce n’est pas tant le prix en lui-même qui importe, que la bonne adéquation entre ces prix et les moyens des ménages », renchérit Eric Rungeard, porte-parole de la chambre régionale des notaires.

Or, « aujourd’hui,le marché dans la Métro- pole est bien en phase avec les revenus des propriétaires », lance ce dernier. « Pour un appartement dans Rouen centre, on est sur une moyenne de 2 150 €/m2. Les prix commencent à monter autour de 2 200 €/m2 sur les petites surfaces, qui sont recherchées. C’est une bonne dynamique ! » Une dynamique dont semble profiter l’activité notariale. « En ce moment (début novembre 2015, ndlr), nous signons beaucoup de compromis pour début 2016 », se réjouit Eric Rungeard. « L’année devrait mieux démarrer qu’en 2015 ».

Signe, selon le notaire, de ce « marché qui reprend de la vigueur » : l’actuel dynamisme de communes telles que Le Petit-Quevilly ou Déville-lès-Rouen, longtemps déficitaires du point de vue de l’attractivité, et qui voient aujourd’hui arriver de jeunes ménages qui investissent dans l’ancien.

Résidences principales Rouen, selon le nombre de pièces

 
2012
%
2007
%

Ensemble

60 945 100,0 59 928 100,0
1 pièce 9 536 15,6 9 918 16,8
2 pièces 15 791 25,9 15 219 25,8
3 pièces 15 693 25,7 14 651 24,9
4 pièces 10 939 17,9 10 614 18
5 pièces ou + 8 986 14,7 8 527 14,5
Sources : Insee, RP2007 et RP2012 exploitations principales

Les loyers (en €/m2) et variations (en %) à Rouen et agglomération

 
Studios et 1 pièce
2 pièces
3 pièces
4 pièces
5 pièces et +
Ensemble
Rouen

13,8 (-5,3)

10,8 (-5,0)

9,7 (-1,8)

8,7 (-0,8)

8,6 (7,3)

11,1 (-3,9)

CA Rouen - Elbeuf - Austreberthe

13,8 (-5,2)

10,5 (-4,1)

9,4

(- 1,0)

8,5 (1,7)

8,2 (1,9)

10,6 (- 2,9)

Sotteville-lès- Rouen

14,3 (- 0,3)

10,0 (- 3,7)

9,7 (- 1,3)

7,9 (- 3,1)

8,5 (- 1,6)

10,6 (- 1,7)

Déville-lès-Rouen

11,0 (- 3,0)

10,7 (0,7)

9,4 (0,2)

9,1 (6,2)

8,7 (0,2)

10,1 (0,4)

Sources : Clameur

Du côté de la construction neuve, le boom de la rive gauche (quartier Saint-Clément/Jardin des Plantes et Le Petit-Quevilly tout particulièrement) illustre pleinement cette nouvelle attractivité dont bénéficie la métropole. Le projet d’écoquartier Flaubert, un ambitieux programme censé abriter 10 000 habitants à l’horizon 2030 au pied du fameux pont du même nom et sur d’anciennes friches industrielles (les appels d’offres aux opérateurs pour la commercialisation des premiers lots devraient être lancés au cours de l’année 2016), reste l’exemple le plus éclatant de cette reconquête des territoires mal aimés.

Le boom de la rive gauche

« La rive gauche offre une potentialité gigan- tesque », acquiesce Frédéric Alves. Le projet de future gare SNCF dans le quartier Saint-Sever, estime le président de la FPI Normandie, sera d’ailleurs « un élément fort du rééquilibrage » entre deux rives qui se sont longtemps regar- dées en chiens de faïence. Ceci parce que les Rouennais ont « longtemps oublié quel était le principal atout de leur ville : la Seine », ajoute Frédéric Alves. « Nous avons enfin pris conscience qu’il s’agissait de notre colonne vertébrale : c’est un très bon signal, qui crée les conditions d’un territoire séduisant ».

Le PLH de la Métropole Rouen Normandie révèle lui aussi l’exceptionnelle attractivité de la rive gauche, qui a concentré à elle seule 27 % du nombre de logements mis en chantier entre 2012 et 2014 (1 850 logements au total de tous types : individuel pur, individuel groupé, collectif et résidence). Selon les chiffres de l’observatoire Olonn, la commune du Petit- Quevilly concentrait au premier semestre 2015, à l’échelle de l’agglomération toute entière, l’offre commerciale disponible la plus

importante (supérieure à 200 logements). Terminée, donc, la mauvaise réputation qui a longtemps collé à ces quartiers populaires et, pour certains, défavorisés. « Nous devrons être vigilants à la qualité des espaces publics qui accompagneront ces nombreuses constructions », insiste Paule Valla. Car s’il y a eu « un changement de paradigme ces cinq dernières années » dans la stratégie immobilière de la Métropole (anciennement la Crea, pour Communauté d’agglomération Rouen-Elbeuf- Austreberthe), c’est parce que la promotion de la qualité de vie s’est imposée comme un levier d’action jusqu’alors sous-exploité. « Il y a quelques années, vivre à une heure de Paris était un écueil : c’est devenu un atout », affirme la directrice générale adjointe en charge de l’urbanisme et de l’habitat.

Manque d’homogénéité

Naturellement, l’actuelle réussite de la rive gauche se mesure également à la qualité des infrastructures de transports qui la desservent : métro, lignes de bus rapides... À l’inverse, les secteurs les moins bien lotis en la matière sont ceux qui présentent le plus de déficit immobilier, à l’instar des plateaux est : Le Mesnil-Esnard, Franqueville-Saint-Pierre... Une zone qui souffre tout autant de son éloignement des grands axes routiers stratégiques, faute d’un grand projet de contournement qui fait office de serpent de mer depuis des décennies. « De la même manière qu’il est nécessaire d’améliorer sa desserte ferroviaire à destination de Paris, il manque à Rouen un vrai périphérique », note Frédéric Alves qui, au nom de la FPI, souhaiterait que « l’offre soit plus homogène » sur le territoire de la Métropole. « Car l’homogénéité d’un territoire fait aussi son attractivité ! »

Entretien avec Michel Jacquet, président de l’UNPI Haute-Normandie

Plusieurs facteurs défavorables à l’investissement locatif

« La Métropole Rouen Normandie n’est pas actuellement le territoire le plus attractif pour investir dans le locatif, en raison de plusieurs facteurs défavorables. Le taux élevé de la fiscalité locale, tout d’abord, avec notamment une taxe foncière qui a augmenté de +21,87% entre 2009 et 2014, ce qui place la ville de Rouen en quatrième position dans le classement des plus fortes augmentations parmi les cinquante plus grandes villes de France. A noter que la taxe d’habitation n’est pas en reste.

Par ailleurs, nous faisons face à une forte concurrence liée à la fois à la suproduction locative du parc public et à la construction neuve trop élevée sur certains secteurs. Parmi les autres facteurs défavorables : la baisse des loyers très significative (jusqu’à -15%), même en cas de rénovation, ainsi que la durée de vacance entre deux locations qui ne cesse de s’allonger (deux à quatre mois, voire plus). L’Anah n’intervient plus dans le cadre de rénovation urbaine en centre-ville où cette vacance, justement, est importante, et où la demande est pourtant forte. Ceci alors que de nombreux propriétaires privés jouent le même rôle social que le parc public sans avoir les mêmes avantages.

Il devient urgent de rassurer les propriétaires bailleurs et les futurs investisseurs par des mesures plus propices à la relance et à la valorisation du patrimoine immobilier ».