ANALYSE - Souvent évoqués concomitamment en assemblée générale, l’approbation des comptes généraux de la copropriété et le quitus au syndic sont pourtant des décisions ne pouvant être confondues tant il est vrai qu’elles n’ont pas le même objectif. Est-il vraiment avisé de s’y opposer systématiquement en cas de défiance vis-à-vis du syndic ?
Par Maître Benjamin Naudin, Avocat
1. Le rejet des comptes en copropriété
A. Les règles comptables en copropriété
Les règles comptables spécifiques s'imposant à tous les syndicats de copropriétaires sont encadrées par le décret et l'arrêté du 14 mars 2005. Depuis le 1er janvier 2007[1], les comptes du syndicat des copropriétaires doivent être tenus conformément à ces règles. Le syndic a donc l’obligation de les respecter.
Dans cette gestion comptable, le syndic a notamment pour obligation :
B. Les conséquences du rejet des comptes du syndicat par l’assemblée générale
L’approbation rend définitivement opposable à l’ensemble des copropriétaires les comptes auxquels elle se rapporte. Pour produire un tel effet, cette approbation doit être exempte de restrictions ou réserves [3].
Ce sont cette approbation, et partant cette opposabilité, qui permettent au syndicat des copropriétaires de recouvrer les soldes débiteurs de copropriétaires en fin d’exercice[4].
Le rejet de ces comptes par l’assemblée, ou l’annulation judiciaire de leur approbation, prive ainsi le syndicat de cette indiscutable opposabilité et l’empêche donc de poursuivre des copropriétaires mauvais payeurs.
Notons néanmoins que de jurisprudence constante l’approbation des comptes généraux de la copropriété, en ce qu’elle ne constitue pas une approbation des comptes individuels de chaque copropriétaire[5], n’empêche pas tout copropriétaire d’exiger une correction de son compte individuel qui comporterait des erreurs de répartition[6].
L’approbation des comptes par l'assemblée générale du syndicat emporte par ailleurs ratification des actes accomplis par le syndic et dont les résultats se trouvent mis en exergue par lesdits comptes, en ce, y compris les dépenses engagées par le syndic hors assemblée, bien qu’excédant ses pouvoirs[7]. Précisons néanmoins que cette ratification ne vaut que pour les opérations portées à la connaissance des copropriétaires par le biais des documents mis à leur disposition dans la convocation ou lors de la consultation des comptes.
Ainsi, l’approbation des comptes ne vaudra pas ratification de travaux dont aucun élément n’a été porté à la connaissance des copropriétaires si ce n’est par une simple ligne comptable et ce même s’ils ont été réalisés sous couvert d’une urgence certaine[8].
L’approbation des comptes emportera donc ratification de la gestion financière réalisée par le syndic et interdit toute révision ultérieure des dépenses de copropriété dont l'assemblée générale aurait eu connaissance.
Le rejet des comptes, en ce qu’il s’analyse en une défiance vis-à-vis de la gestion financière opérée par le syndic, permet dès lors de contester la véracité desdits comptes en ayant recours par exemple à une demande d’expertise judiciaire ayant pour objectif leur vérification[9]. Une telle demande ne serait bien sûr pas recevable si les comptes avaient été approuvés.
Le rejet des comptes présentés par le syndic imputable à une mauvaise gestion financière de sa part permet, non seulement de justifier la révocation de son mandat par le conseil syndical, mais également d’engager sa responsabilité civile professionnelle.
Mais attention, à l’inverse, un refus abusif, accompagné d’investigations vexatoires, serait de nature à engager la responsabilité du syndicat. En tout état de cause, il devrait permettre au syndic de justifier une résiliation unilatérale de son contrat[10].
2. Le quitus au syndic et son rejet
A. Le quitus et son indépendance vis-à-vis de l’approbation des comptes
Alors que l’approbation des comptes voit ses effets limités à la simple gestion financière du syndicat, le « quitus » quant à lui vaut ratification de l’ensemble de la gestion et de l’administration du syndic, que ce soit dans le domaine comptable et financier ou dans tous les autres domaines où il a été amené à intervenir : contrats, recouvrement des créances du syndicat, litiges avec les tiers, pendant un exercice déterminé. En confiant un tel quitus, le syndicat renonce donc à critiquer l’exécution du mandat de son syndic durant la période en question[11] et ce, même s’il a excédé ses pouvoirs.
Ce quitus ne produit un tel effet que s’il est dépourvu de réserves[12]. Soulignons qu’il ne porte que sur les actes effectivement portés à la connaissance du syndicat des copropriétaires. Ainsi, il ne peut ratifier des actes ignorés par le syndicat[13]. Pour que le quitus porte un effet plein et entier, il faut que le syndic ait apporté au syndicat une information complète et loyale[14].
Cette décision est donc strictement indépendante de l’approbation des comptes, ces deux questions devant être strictement distinguées dans l’ordre du jour de l’assemblée (Cass., 3e civ., 14 janv. 2009 : JurisData n° 2009-046573). Notons néanmoins qu’à l’inverse de l’approbation des comptes, la question du quitus n’est pas une obligation devant figurer à l’ordre du jour d’une assemblée. Son absence n’a ainsi pas de conséquence sur la régularité de l’assemblée.
B. Les conséquences du rejet du quitus par l’assemblée générale
L'assemblée générale peut évidemment refuser de délivrer quitus si elle estime que le syndic n'a pas rempli correctement sa mission ; ce refus ne doit pas cependant revêtir un caractère abusif, auquel cas il ouvrirait droit à indemnité au syndic.
En refusant ce quitus, le syndicat s’autorise à discuter amiablement ou judiciairement la bonne exécution par le syndic de sa mission. Cependant, le rejet du quitus par l’assemblée ne pourrait avoir pour conséquence d’affecter l’éventuel renouvellement de son mandat ou s’analyser en une révocation[15] de son contrat.
In fine, le quitus donné au syndic n'a d’effet libératoire pour le syndic que vis-à-vis du syndicat et des copropriétaires ayant voté en sa faveur. Ainsi, les autres copropriétaires, opposants ou défaillants à son vote, ne sont pas privés de leur droit à agir en responsabilité extracontractuelle à l’encontre du syndic, à charge pour eux de prouver sa faute, un dommage personnel et un lien de causalité[16].
[1] Loi ENL du 13 juillet 2006.
[2] Apport de la Loi ALUR n°2014-366 du 24 mars 2014.
[3] CA Versailles, 7 oct. 1988 : Inf. rap. copr. janv. 1991, p. 10 ; RD imm. mars 1991, p. 104
[4] Cass., 3e civ., 15 oct. 2013, n° 12-19.017
[5] Cass., 3e civ., 27 mars 2012, n° 11-13.064
[6] CA Versailles, 12 sept. 2016, n° 14/07638
[7] CA Aix-en-Provence, 16 mars 1995 : JurisData n° 1995-044191
[8] Cass., 3e civ., 17 janv. 2007, n° 05-17.119
[9] Cass., 3e civ., 3 oct. 1969 : JCP G 1970, II, 16201
[10] Article 18 de la loi du 10 juillet 1965
[11] Cass., 3e civ., 27 mars 2012, n°11-1113
[12] CA Paris, 23e ch., 21 décembre 1988 : Loyers et copr. 1989.
[13] Cass., 3e civ., 23 juin 1999, n°1999-002686
[14] CA Caen, 9 novembre 2010, n°2010-029358
[15] Cass. 3e civ., 24 mai 1978, n° 77-11.553
[16] CA Paris, 19e ch. A, 23 juin 2004 : JurisData n° 2004-243339