La vente d'un bien loué : quel droit pour le locataire ?

Un article du Code civil laisse à penser que l'acquéreur d'un immeuble loué pourrait aisément congédier le locataire. Mais l'analyse du champ d'application de cette règle et de ses modalités d'application invite à tempérer fortement cette première interprétation.

Lorsqu'un bien est vendu et que celui-ci fait l'objet d'un bail en cours, il se pose la question du droit du locataire. En dehors de l'existence éventuelle d'un droit de préemption pour les baux d'habitation (art. 15 de la loi du 6 juillet 1989) ou de la mise en copropriété d'un immeuble (loi du 31 décembre 1975), il s'agit ici d'analyser le droit du locataire à se maintenir dans les lieux. Quel est le droit du locataire, dont le bail est en cours à l'égard de l'acquéreur de l'immeuble ?

La solution qui vient spontanément à l'esprit est de considérer que l'acquéreur est tenu de respecter le bail en cours. Mais à lire l'article 1743 du Code civil, le droit du locataire en cas de vente du bien qu'il occupe paraît bien fragile. En effet, cet article semble permettre à l'acquéreur de donner congé au locataire qui n'a pas de bail authentique ou ayant date certaine.

Tâchons de cerner quelle peut être la portée effective de cet article.

La protection du locataire d'habitation

En matière de baux relevant de la loi du 6 juillet 1989, la solution est implicite mais certaine. En effet, l'article 15 prévoit, depuis la loi ALUR du 24 mars 2014, des règles spécifiques au congé donné par le bailleur qui a acquis récemment le logement.

Dans le texte actuellement en vigueur, la législation, un peu complexe, distingue plusieurs cas en fonction du caractère plus ou moins récent de l'acquisition et selon le motif du congé (vente ou reprise pour habiter).

Faculté de donner congé après la date d'acquisition

Motif du congé

Terme du bail par rapport à la date d'acquisition

Condition pour pouvoir donner congé

Reprise

Moins de 2 ans

Effet du congé reporté à 2 ans après la date d'acquisition

Plus de 2 ans

Pas de contrainte spécifique

Vente

Moins de 3 ans

Au terme de la 1e reconduction tacite ou du 1er renouvellement du bail

Plus de 3 ans

Au terme du bail

 

Le législateur accorde donc dans certains cas un délai complémentaire au locataire lorsque le logement qu'il occupe a été vendu. Soit par exemple un logement loué pour 3 ans en 2018 et dont le bail prend fin en 2021. Si l'acquéreur, personne physique veut revendre libre le bien qu'il a acquis occupé en 2019, il doit attendre le premier renouvellement en 2021 et donner congé au plus tôt pour 2024. Lorsque le terme du bail intervient plus de trois ans après l'acquisition, l'acquéreur peut donner congé pour vendre au terme du bail, ce qui est la règle habituelle.

Il résulte donc de ces dispositions que l'acquéreur est non seulement tenu de respecter le bail en cours mais qu'il est soumis à des contraintes supplémentaires par rapport au bailleur initial.

S'agissant des dispositions transitoires, la Cour de cassation a précisé plus anciennement, pour un congé donné en 2005, que le bail en cours restait soumis aux dispositions qui lui étaient applicables jusqu'à sa date d'expiration pour un immeuble loué suivant la loi de 1989 et acquis par un organisme HLM (Civ. 3E, 18 février 2009, n°07-21879).

La garantie statutaire pour les commerçants

En matière de baux commerciaux, il paraît difficile de considérer que l'acquéreur pourrait congédier le locataire car la protection statutaire accorde au preneur un droit au renouvellement et que les clauses qui lui sont contraires sont réputées non écrites (art. L 145-15 du Code de commerce). Or congédier le locataire au seul motif de la cession des murs remettrait en cause le droit au renouvellement.

Divers textes ou arrêts confortent cette analyse. En cas de vente de l'immeuble, le locataire qui se trouverait évincé pourrait prétendre à une indemnité d'éviction et refuser de quitter les lieux avant de l'avoir reçue par application de l'article L 145-28. La Cour de cassation a ainsi jugé que le droit au maintien du locataire dans l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction est opposable à l'acquéreur de l'immeuble (Civ. 3e, 17 déc. 2003).

De même, si le bailleur délivre un congé avec refus de renouvellement avant la vente, la vente et sa notification au preneur ne déchargent pas le vendeur de son obligation de payer l'indemnité due pour refus de renouvellement (Civ. 3e, 29 novembre 2005). Les tribunaux ont aussi admis que l'acquéreur pouvait être tenu des obligations du bail et solidairement avec le vendeur du paiement de l'indemnité d'éviction au profit du preneur, même si le congé a été délivré par l'ancien propriétaire (CA Rennes, 29 mai 1996).

Plus récemment, la Cour de cassation a jugé (Civ. 3e, 21 février 2019), dans une affaire où le vendeur avait déjà été condamné à faire des travaux consécutifs à la vétusté, qu'en cas d'adjudication du bien, l'adjudicataire est tenu d'une obligation envers le locataire des travaux nécessaires à la délivrance conforme du bien loué.

Il faut aussi réserver le cas de la fraude ou de la mauvaise foi. Un congé était adressé au locataire avec dénégation du droit au statut pour défaut d'immatriculation de l'acquéreur du fonds de commerce, qui avait engagé des démarches à cet effet. Le congé avait été délivré par le cédant mais la Cour de cassation a admis que ce congé délivré sans intérêt personnel et dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur, qui ne pouvait pas agir car il n'était pas encore propriétaire, devait être annulé pour fraude (Civ. 3e ,5 mars 2008, n° 06-20831).

En droit commun

En matière de droit commun, il n'existe pas de protection spécifique du preneur et il faut donc se reporter à l'article du Code civil précité, qui évoque l'hypothèse de la vente du local loué. Selon l'article 1743 « Si le bailleur vend la chose louée, l'acquéreur ne peut expulser le fermier, le métayer ou le locataire qui a un bail authentique ou dont la date est certaine.

Il peut, toutefois, expulser le locataire de biens non ruraux s'il s'est réservé ce droit par le contrat de bail. »

Il résulte de cet article que si le locataire dispose d'un bail authentique ou si le bail a acquis date certaine, le locataire est protégé : l'acquéreur doit respecter le bail en cours. L'hypothèse du bail ayant acquis date certaine est vérifiée par exemple lorsqu'il est mentionné dans l'acte notarié de vente de l'immeuble.

Par exemple si le bailleur a promis un renouvellement de bail au locataire par acte authentique et que l'existence de cet acte est mentionné dans l'acte de vente, cela constitue un avenant au bail opposable à l'acquéreur (Civ. 3e, 23 mai 1995).

La règle de droit commun de l'article 1743 est donc celle qui s'applique à défaut de règle de droit plus protectrice, comme on l'a vu pour les baux d'habitation. Elle peut s'appliquer par exemple pour la location d'un mur pour l'installation d'un panneau publicitaire (Civ. 1e, 1er mars 1989).

Par ailleurs, si l'acquéreur a connaissance du bail avant la vente, il est considéré de mauvaise foi. De façon générale, si l'acquéreur a connaissance du bail, il est opposable à l'acquéreur. A la suite d'une adjudication, l'acquéreur avait engagé une expulsion à l'encontre du locataire. La Ccour d'appel avait annulé le bail qui n'avait pas date certaine, mais la Cour de cassation a censuré la décision, et donc a ainsi refusé de considérer que le bail était inopposable à l'acquéreur car la Cour d'appel n'avait pas recherché si l'adjudicataire avait connaissance de ce bail avant l'adjudication (Civ. 3e, 29 septembre 1999).

Le bail qui est enregistré lui donne date certaine. En conséquence il devient opposable à l'acquéreur du bien. Mais ici encore, la fraude peut faire obstacle à la règle. La Cour de cassation a pu admettre qu'un bail est inopposable à l'acquéreur en cas de fraude (Civ. 3e, 20 mars 1996, n° 94-14665).

Dans cette affaire, un couple était poursuivi en paiement par une banque qui avait pris une hypothèque judiciaire sur ses biens. Le couple avait alors constitué une SCI pour prendre à bail à long terme (25 ans) les biens dont il était propriétaire. Le bail qui avait été enregistré a été déclaré inopposable à la banque au motif que « l'inopposabilité d'un bail à long terme au créancier hypothécaire une fois prononcée lui confère le droit de poursuivre la vente forcée de l'immeuble libre de tout bail à long terme ».

Des dérogations contractuelles

Par ailleurs, s'agissant du bail authentique ou ayant date certaine, et hors protection statutaire, la règle de l'article 1743 de transmission du bail à l'acquéreur demeure supplétive. Il est donc possible de prévoir dans le bail initial que la vente de l'immeuble ne s'accompagnera pas de la transmission automatique de la qualité de bailleur au cessionnaire de la chose louée (cf. Vente d'immeuble, Lexis Pratique n° 1775).

Le bail peut prévoir que, en cas de vente, l'acquéreur pourra expulser le locataire sans dommages et intérêts. S'il ne comporte pas de stipulation sur l'indemnisation, l'article 1744 renvoie aux règles d'indemnisations prévues suivant la destination des lieux. Mais l'article 1750 écarte l'indemnisation pour les baux qui ne sont pas établis par acte authentique ou sans date certaine.

Une règle d'application résiduelle

Il ressort de l'ensemble de ces règles que, en principe, en cas de vente de l'immeuble, le locataire court un risque d'éviction par le nouveau propriétaire. Mais cette règle ne s'applique pas pour les baux puisqu'elle est écartée par la loi de 1989 et que les règles d'ordre public du statut des baux commerciaux lui font en pratique obstacle.

Elle reste applicable, sauf clause contraire, pour les baux authentiques ou ayant date certaine.

Enfin, elle ne s'applique pas si l'acquéreur avait connaissance du bail.

En conclusion, ce n'est qu'à titre très résiduel qu'une telle situation pourra se rencontrer.

Il est donc déconseillé à l'acquéreur de tenter d'invoquer cette règle qui risque fort de ne pouvoir trouver à être mise en oeuvre. Il est hautement préférable de s'informer précisément avec le vendeur de la situation locative et de négocier avec lui le prix d'un immeuble occupé plutôt que de penser acquérir un immeuble supposé libre de toute occupation, qui ne correspond pas à la réalité.

Il peut aussi être utile de prévoir dès le bail l'hypothèse de la vente du bien pour préciser le droit du locataire à l'égard de l'acquéreur.

Bertrand Desjuzeur

Source : 25 millions de propriétaires • N°janvier 2020


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