L’Europe et la performance énergétique des bâtiments

L’Europe et la performance énergétique des bâtimentsPour mettre le parc immobilier européen sur la voie de la neutralité climatique d'ici 2050, la Commission européenne a présenté le 15 décembre 2021 sa proposition de refonte de la directive européenne sur la performance des bâtiments (EPBD). 

Ce texte législatif, considéré comme l’une des pierres angulaires de l’énorme « Paquet Climat » proposé en deux étapes par la Commission européenne en 2021, a par le passé eu un impact important sur le secteur immobilier européen. La présente proposition ne fait pas exception à la règle puisqu'elle fixe des normes minimales auxquelles les bâtiments neufs et existants devront bientôt se conformer.

Alors que l’encre de la précédente version de la directive est à peine sèche, à peine trois ans plus tard, la Commission européenne propose déjà une nouvelle mouture pour renforcer le cadre juridique relatif à la performance énergétique des bâtiments. Parmi les mesures présentées, les dispositions suivantes vont particulièrement impacter les ménages européens[1] et le secteur immobilier.

PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE MINIMUM OBLIGATOIRE POUR LE PARC IMMOBILIER LE MOINS PERFORMANT

L’Europe et la performance énergétique des bâtimentsComme annoncé dans sa   « stratégie pour une vague de rénovations » de 2020, la Commission européenne propose d'introduire des normes minimales obligatoires de performance énergétique pour le parc existant. Ces normes seront axées sur le "parc immobilier le moins performant". Cela signifie que les bâtiments classés G et F dans le certificat de performance énergétique devront être éliminés progressivement et rénovés au plus tard en 2033, qu'ils soient publics ou privés, résidentiels ou non, loués ou pas. La mesure est très largement inspirée de ce qui s’est fait en France et au Royaume Uni. Mais elle semble aller au-delà, puisque dans ces deux pays, les normes ne s'appliquent pour le moment qu’au parc locatif. La directive elle ne fait pas de distinction quant au type d’occupation et d’occupants. Reste à savoir dans qu’elle mesure cela va changer les récentes normes mises en place en France et surtout dans qu’elle mesure de telles règles peuvent être exécutées. Il est plus facile d’obliger un bailleur à se conformer à certaines règles que de faire de même avec tous les propriétaires occupants d’Europe ! 

Pour l’UIPI, il s'agit d'un changement de paradigme ! C’est la première fois que la Commission européenne va aussi loin en fixant une obligation directe pour les citoyens et les entreprises de l'UE de rénover leurs logements et leurs propriétés. Selon nos estimations, l'Union européenne compte environ 118 millions de bâtiments résidentiels et non résidentiels[2], si jusqu'à 15 % d'entre eux sont classés G et environ (au minimum) 15 % supplémentaires sont classés F (selon la nouvelle échelle EPC proposée)[3]. Cela signifie donc qu’au minimum 35 millions de bâtiments à travers l'UE devront être rénovés d'ici 2033. Il s'agit d'une tâche herculéenne !

De nombreux États membres sont déjà confrontés à une pénurie de travailleurs du bâtiment - en particulier de travailleurs qualifiés. Et si l'échéance semble lointaine, compte tenu des délais d'adoption et de transposition de la directive, il restera au mieux huit ans pour atteindre cet objectif.

Pour la Commission, ces standards minimums à atteindre pour le "parc le moins performant" sont également destinés à lutter contre la pauvreté énergétique. Il faut s'en réjouir ! Mais de telles normes ne pourront pas atteindre leurs objectifs sociaux si elles ne sont pas précédées d’incitatifs financiers et d’une assistance technique appropriée. Plusieurs fonds européens, dont le tout récent plan de relance, peuvent être utilisés pour soutenir la rénovation. Nous soutenons fermement cette idée ! Mais la plupart des outils doivent être mis en place au niveau national et au vu de l'ampleur de la tâche à accomplir en si peu de temps, nous pouvons nous interroger sur la disponibilité d'instruments de soutien et d'incitations suffisants. C'est inquiétant car le parc le moins performant n'est pas seulement susceptible d'être loué par des ménages vulnérables, mais aussi d'être le domicile de familles moins riches et d'appartenir à des propriétaires aux moyens financiers limités. Il est également plus probable qu'il se trouve dans des régions et des États membres où le revenu moyen est plus faible et la valeur de la propriété plus basse.

LE CERTIFICAT DE PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE VA ÊTRE REDIMENSIONNÉ

Dans le but d'harmoniser davantage la méthodologie du certificat de performance énergétique (DPE) dans les États membres, la Commission européenne propose d’ici 2025 d'aligner les bâtiments classés A sur la nouvelle définition des "bâtiments à émission zéro" et de fixer le DPE G à 15% du parc le moins performant. Cette proposition a pour but, selon la Commission, de répartir équitablement la tâche de rénovation entre les États membres. Mais en même temps, elle pénalise les États membres dont les parcs immobiliers sont plus performants car ils ont déjà fait l'objet de rénovations et d'améliorations substantielles. En outre, il reste à évaluer dans quelle mesure cette nouvelle disposition garantira ou, au contraire, augmentera les disparités entre les classes des DPE des États membres. En France, un autre problème se pose. Alors qu’un nouveau DPE vient juste d’être mis en place avec les déboires qu’on lui connait, il est légitime de se demander dans quelle mesure la nouvelle norme européenne risque d’affecter la méthode et la classification française. En outre, l'obligation de posséder un certificat est étendue à ceux faisant l'objet « d'une rénovation importante », à ceux dont le contrat de bail est renouvelé et à l'ensemble des bâtiments publics. Les bâtiments ou unités de bâtiment proposés à la vente ou à la location devront également posséder un certificat et la classe de performance énergétique devra figurer dans toutes les annonces publicitaires. 

BÂTIMENTS NEUFS À ZÉRO EMISSION

D'ici à 2030, tous les nouveaux bâtiments construits dans l'UE devront être des bâtiments à émissions nulles. Cela signifie non seulement qu'ils devront être très performants sur le plan énergétique, mais aussi que les besoins énergétiques restants devront être couverts par des énergies renouvelables produites sur place, par des communautés d'énergies renouvelables ou par des systèmes de refroidissement urbains. S'il faut se féliciter de l'accent mis sur les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments plutôt que sur leur simple performance énergétique, cette approche ne tient pas compte de toutes les possibilités des systèmes énergétiques décarbonés fournis par le réseau. 

Le projet promeut également l’utilisation de matériaux de construction « durables ». Pour toute nouvelle construction, le DPE devra renseigner les émissions de carbone calculées tout au long du cycle de vie du bâtiment. Cette approche s’appuie sur les expériences de plusieurs Etats membres, dont la France, avec sa nouvelle réglementation environnement (RE 2020), qui s’appliquera dès janvier 2022 pour les logements neufs.

AUTRES PROPOSITIONS PHARES

En plus de ces mesures, la proposition contient de nombreuses dispositions plus spécifiques qui auront également un impact considérable sur le secteur du bâtiment, notamment de nouvelles dispositions relatives à l'électromobilité. Entre autres, les plans nationaux de rénovation des bâtiments devront non seulement définir une trajectoire pour parvenir, d'ici à 2050, à un parc immobilier à émissions nulles. Ils doivent aussi inclure une feuille de route pour éliminer d'ici à 2040 les combustibles fossiles utilisés dans le chauffage et la climatisation. La Commission invite les États membres à ne plus accorder dès 2027 d'incitations financières pour l'installation de chaudières à combustible fossile. 

En outre, la directive révisée soutient le déploiement d'infrastructures de recharge pour les véhicules électriques dans les bâtiments résidentiels et commerciaux. Elle prévoit aussi d'augmenter les stationnements réservés aux vélos dans les bâtiments neufs et rénovés ainsi que dans les grands bâtiments non résidentiels existants.

Pour l’UIPI, « cette directive a été rédigée avec de bonnes intentions et nous soutenons l'objectif ! Mais le texte est beaucoup trop prescriptif et détaillé. Nous n'avons cessé de plaider, dans le respect des principes d'attribution, de subsidiarité et de proportionnalité, en faveur d'un certain niveau de flexibilité pour les Etats membres afin de s'adapter aux différentes conditions économiques, climatiques, politiques et sociales, notamment en ce qui concerne les normes obligatoires de performance énergétique. Ce n’est pas vraiment le cas et nous avons de fortes inquiétudes quant à la faisabilité de la tâche qui nous attend d'ici 2033. La transition verte nécessite l'adhésion de tous, et nous devrions vraiment nous abstenir de mesures trop impactantes et détaillées qui risquent de susciter plus de ressentiment que de soutien. Nous continuerons à échanger de manière constructive avec les institutions européennes afin de garantir que les dispositions finales de la Directive soient soutenues par les citoyens européens et notre secteur et qu'elles soient à la hauteur de l'ambition climatique. »

La directive sur l’efficacité énergétique des bâtiments n’est qu’un des éléments du Paquet Climat. D’autres textes, tels que l’application d’un système de quotas d’émission au secteur du bâtiment, existent. Le règlement sur la répartition de l'effort assigne à chaque État membre des objectifs renforcés de réduction des émissions et la directive sur les renouvelables, aussi en révision, auront également un impact considérable sur le secteur de l’immobilier.

Le dossier est maintenant sur la table du Parlement européen et du Conseil des ministres qui réunit les Etats membres. Si les négociations se passent bien, il est envisageable que le texte soit adopté d’ici la première moitié de 2023. Puisque c’est une directive, elle devra ensuite être transposée dans les Etats membres. Le gouvernement français se montre généralement très favorable à ce type de mesure.

 

Emmanuelle Causse, Secrétaire générale de l’Union internationale des propriétaires immobiliers

Source : 25 millions de propriétaires • N°560 mars 2022

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[1] Dans l'UE en 2019, 70 % de la population vivaient dans un ménage propriétaire de son logement, tandis que les 30 % restants vivaient dans un logement loué (Eurostat, Housing in Europe).

[2] Les données sur le parc immobilier sont rares et difficiles à compiler en Europe. Une partie des données disponibles sont exprimées en nombre de logements disponibles, d'autres en surface de plancher totale des bâtiments. Les chiffres présentés ici sont basés sur les travaux réalisés dans le cadre de l'Observatoire du parc immobilier européen et compilés par les services de données de la RICS. Ils se réfèrent au nombre de bâtiments.

[3] Selon l'art. 16 de la proposition, les classes de performance énergétique seront redimensionnées en vue de la vision commune d'un parc immobilier à émissions nulles d'ici 2050, tout en tenant compte des différences nationales entre les parcs immobiliers : la classe A, la plus élevée, représentera un bâtiment à émissions nulles, tandis que la classe G, la plus basse, comprendra les 15 % de bâtiments les moins performants du parc immobilier national. Les classes restantes (B à F) présentent une répartition uniforme des indicateurs de performance énergétique entre les classes de performance énergétique. Cela signifie que la classe F devrait au minimum représenter 15% du parc - probablement plus, sachant qu'il n'y aura pratiquement pas de bâtiments de classe A. Par conséquent, si tous les bâtiments doivent atteindre la classe E d'ici 2033, il faudra rénover au moins 30 % de l'ensemble du parc d'ici 2033.