Habitat intergénérationnel : cohabiter pour mieux vivre ensemble

Et si l’on réinventait la ville en faisant cohabiter de nouveau les jeunes et les anciens ? Si l’on proposait un habitat différent où chaque génération apporterait sa pierre ? Si l’on retissait des liens dans une société fracturée ? Phénomène émergeant, l’habitat intergénérationnel propose de nouvelles solutions.

Favoriser le lien social, diversifier l’offre de logements, lutter contre l’isolement des seniors, faciliter le maintien à domicile, renforcer la solidarité entre jeunes et anciens… Autant de nécessités en forme de défis pour faire  face à l’allongement de la durée de la vie et s’inventer un nouveau vivre ensemble. L’habitat intergénérationnel, qui se développe sous diverses formes, peut offrir des solutions innovantes, adaptées aux évolutions sociétales.

Seniors et jeunes : la nouvelle colocation

Un mouvement naissant mais en plein essor, favorisé par la Loi ELAN de 2018, est la « cohabitation intergénérationnelle et solidaire », permettant de faire cohabiter sous un même toit un senior de plus de 60 ans, propriétaire ou locataire, avec un jeune de moins de 30 ans.

Le senior, propriétaire ou locataire, peut louer ou sous-louer à un jeune une partie de son logement, gratuitement ou moyennant un loyer modeste, librement convenu entre les parties. Le jeune colocataire devra en échange assurer un temps de présence régulier et des petits services (courses, promenades,  bricolage, jardinage…). A noter que le locataire qui a plus de 60 ans peut sous-louer à un jeune de moins de 30 ans en informant le bailleur de son intention et sans que celui-ci puisse s'y opposer. Une charte nationale de la cohabitation générationnelle est entrée en vigueur le 14 janvier dernier, précisant le cadre général et les modalités pratiques.

Ce concept de colocation n’avait pas de cadre juridique, avant l’entrée en vigueur de la loi ELAN. La rédaction d’un contrat de location n’est pas obligatoire. Cependant, il  est désormais possible d’établir un contrat de cohabitation intergénérationnelle et solidaire  qui précise la durée du bail, du préavis, le montant du loyer et les obligations communes. Avec à la clé le droit de percevoir des aides personnalisées au logement (APL) pour les deux parties.

Une formule sécurisante

« C’est une formule souple et sécurisante qui vient répondre à deux problématiques de notre société, l’isolement des seniors et le coût élevé des loyers pour les étudiants, assure Catherine Garnier, de l’association Ensemble2générations qui met en relation, dans 22 villes en France, jeunes et retraités. En autorisant la sous-location, jusque-là interdite, la loi officialise et encourage ce type de pratique qui connaît un beau succès dans les zones tendues », explique la responsable d’une agence parisienne de l’organisme.

Dans la capitale, la demande est forte, beaucoup plus, étonnamment, de la part des jeunes que des seniors, relève l’association qui propose un suivi et un accompagnement aux candidats. La moitié des demandes des étudiants ne peut être satisfaite. « Il s’agit de partager un toit mais surtout de tisser un lien unique. C’est une alchimie complexe, la rencontre souvent de deux solitudes qui vont  vivre une histoire commune dans un échange mutuel. Nous essayons de composer le binôme correspondant le plus aux profils et aux motivations de chacun. Les seniors craignent souvent l’intrusion d’une personne inconnue dans leur quotidien et dans leur intimité mais ça fonctionne à plus de 90%. Les jeunes s’enrichissent au contact des anciens et ces derniers se sentent revivre quand la confiance est établie. »

En cas de mésentente, l’association intervient, constate la rupture de la convention et  propose une autre personne. Le mois de préavis s’applique comme pour un contrat de location classique, tout comme l’obligation de ne pas mettre à la porte la personne hébergée d’octobre à juin.

Encore un marché de niche

Comme Ensemble2générations, de nombreuses associations se sont spécialisées dans la cohabitation intergénérationnelle. Mieux vaut se faire accompagner par des personnes compétentes pour sécuriser la démarche et disposer de tous les éléments d’information  avant de se lancer dans l’aventure.

Hors de la région parisienne, la demande pour ce type de colocation semble encore peu développée, même dans les grandes villes. « C’est un marché de niche, constate Me Pailhès, président de la Chambre interdépartementale des notaires, Tarn, Haute-Garonne, Ariège. Il est toujours possible d’accueillir un ou plusieurs jeunes dans sa résidence principale, dans un cadre juridique classique. Choisir le contrat intergénérationnel relève d’une certaine philosophie de vie, la loi ELAN introduit une notion de service non évaluée financièrement. Cette formule, par son aspect d’entraide est plutôt une garantie de paiement du loyer, qui reste de toute façon modeste, quand il existe. Les relations qui se tissent dans un tel contexte, créent un climat de confiance. »

Inventer de nouveaux modèles

Bailleurs sociaux et promoteurs privés proposent de nouveaux lieux de vie, résidences  ou même quartiers intergénérationnels, mêlant étudiants, familles, personnes âgées, services, équipements collectifs ou partagés. Objectif : créer une dynamique de proximité favorisant convivialité, échanges, solidarités de voisinage, mixité à tous les étages.

Illustration avec le programme du Groupe Carrere, en cours de construction à Meyreuil, dans les Bouches-du-Rhône, au cœur de l’écoquartier du Ballon, où vont pousser 500 logements neufs. La résidence intergénérationnelle, composée de 103 appartements et 16 villas individuelles, constituera un point central du futur quartier. Logements privés et sociaux, adaptés au vieillissement, services à la carte pour les seniors, salle commune ouverte à tous les résidents, potager, jardin, commerces de proximité… « Tout est fait pour favoriser la rencontre et le lien social, explique Frédéric Danné, directeur national du développement chez Carrère. Plus d’un tiers des ménages français ne compte qu’une seule personne, un phénomène lié au vieillissement mais aussi aux ruptures familiales. Au-delà des logements eux-mêmes, il faut inventer un nouveau modèle d’habitat en créant un environnement complet qui favorise le brassage intergénérationnel, où se croisent familles, étudiants, enfants… Chacun peut vivre ici en toute indépendance ou profiter de cette proximité qui favorise les échanges. »

Même constat pour Crédit Agricole Immobilier, lui aussi engagé sur ce terrain, comme l’ensemble des opérateurs. « L’habitat intergénérationnel correspond à de nouvelles attentes, remarque Nathalie Gagnarde, directrice des grands projets du groupe. Cela passe par de l’habitat spécifique, conçu dès le départ pour différents types de publics, ce qui permet d’abaisser les coûts, comme les logements modulables et évolutifs, pouvant s’adapter à de la colocation pour jeunes et seniors, ou des résidences spécifiques pour retraités mais intégrées dans le programme. Nous développons à Nanterre un ensemble de 250 logements dans cet esprit, dénommé « Cohab », où nous proposons par exemple une pièce commune pour 5 à 6 logements, ce qui permet à la fois d’agrandir l’espace et de tisser des liens. Mais aussi des espaces de vie pour tous, un café participatif ou encore une salle de sports. La demande n’est pas identique partout, nous travaillons avec les collectivités et les associations locales pour être précurseurs en réinventant des nouveaux morceaux de ville. »

Ce type d’habitat est-il intéressant pour un investisseur potentiel ? « Tout le monde lance des projets dans ce secteur, il y aura bientôt du choix et des opportunités. Côté prix, pas de surcoût à l’achat, par rapport à une résidence classique, attention cependant aux services proposés et aux charges que cela peut générer quand on achète pour y vivre. »

Marie-Josèphe Boyer Chamard va bientôt fêter ses 97 ans.  Depuis début janvier, elle héberge Marie-Jeanne Uwimana, étudiante en école de chimie, à Paris. « C’est ma fille qui a eu l’idée de cette colocation, je n’étais pas contre. J’ai toute ma tête et je suis assez autonome mais c’est vrai que la solitude pèse. Nous avons été mis en contact par Ensemble2générations, ça s’est très bien passé tout de suite et je suis très heureuse de la présence de Marie-Jeanne. Même si mes enfants habitent l’immeuble, je suis rassurée de l’avoir avec moi la nuit. Nous tissons une belle relation, sans aspect financier, le loyer est gratuit. Et puis, j’ai une grande chance, Marie-Jeanne est croyante, elle m’accompagne à la messe. Une présence au quotidien, ça change tout.»

Marie-Jeanne, elle, cherchait une colocation classique sur Paris. Pas simple et pas donné. Une amie lui a parlé de cette formule. « J’ai travaillé dans une association d’aide aux mères, je faisais les courses, de l’accompagnement et du ménage, donc j’ai trouvé le principe très bien. La relation s’est enclenchée de façon naturelle, on se voit le soir, j’assure une présence 6 nuits sur 7 et 2 week-ends par mois. Ce n’est pas lourd, on s’entend très bien, j’ai beaucoup d’affection pour elle. Et puis, étant en alternance, j’aurais eu du mal à payer un loyer. Pour moi aussi, c’est la meilleure des solutions. »

Marc Pouiol • Journaliste

Source : 25 millions de propriétaires • N°mars 2019


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