Transformer un logement en local professionnel ou commercial

Dans l’article précédent, nous avons vu les formalités requises pour transformer un local professionnel ou commercial en logement. Nous abordons ici l’hypothèse inverse : comment passer du logement au local professionnel ou commercial. La transformation est généralement plus difficile. Du point de vue de la copropriété, l’usage professionnel ou commercial est susceptible d’engendrer plus de nuisances que l’habitation : passages plus fréquents dans la cage d’escalier et l’ascenseur, bruits ou odeurs pour un commerce ou un restaurant. Du point de vue de l’urbanisme, les règles de protection de l’habitat conduisent les municipalités à encadrer les possibilités de transformation. Le bail doit bien entendu également être respecté.

La copropriété

Le copropriétaire qui souhaite opérer une telle transformation doit commencer par consulter le règlement de copropriété pour vérifier quels sont les usages autorisés pour les lots.

Si l’usage envisagé est contraire à la destination de l’immeuble, la transformation n’est pas possible, sauf accord unanime des copropriétaires. Par exemple, installer un local commercial dans un immeuble à usage d’habitation impose un vote à l’unanimité (Civ. 3ème, n° 91-11.296, 28 avril 1993). Il en est de même si l’usage envisagé est interdit par le règlement.

Lorsqu’un lot est à usage d’habitation, que ce soit tout l’immeuble ou le groupe de lots concernés, le passage à un usage professionnel ou commercial implique l’unanimité (CA Paris, 16 mai 1986). Il faut aussi l’unanimité si une société commerciale veut s’installer dans le lot (Civ. 3ème, 29 janvier 2003, n° 01-03.887). Dans cette affaire, le règlement imposait un usage d’habitation tout en admettant un usage professionnel. La Cour de cassation a validé l’interdiction qui était faite d’implanter une société commerciale. 

Si le règlement est souple et autorise diverses affectations, le copropriétaire peut alors en changer sans avoir à demande l’autorisation de la copropriété (CA Versailles, 25 avril 2000). De même, « un changement de la nature de l’activité commerciale, dans un lot où le règlement de copropriété autorise l’exercice du commerce, n’implique pas, par lui-même, une modification de la destination de l’immeuble et peut s’effectuer librement, sous réserve de ne porter atteinte, ni aux droits des autres copropriétaires, ni à des limitations conventionnelles justifiées par la destination de l’immeuble » (Civ. 3ème, 7 déc. 1994, n° 91-13.035).

Tout est affaire d’interprétation des clauses du règlement.

La difficulté vient souvent de règlements qui ne précisent pas si un changement est autorisé ou proscrit. La jurisprudence avait tendance à exiger l’unanimité (Civ. 3ème, n° 83-10.996, 28 mars 1984). Mais une tendance plus récente est plus souple et autorise le changement d’affectation entre plusieurs types d’activités commerciales (par exemple Civ. 3ème, n° 86-11.587, 22 juillet 1987, qui écarte une clause qui imposait l’exercice d’un seul type d’activité commerciale, un garage).

De façon générale, il faut s’assurer de deux vérifications :

  • Il faut d’une part que le changement ne soit pas contraire à la destination de l’immeuble. Si l’immeuble est à destination exclusive d’habitation, il peut être interdit de modifier l’affectation de lots qualifiés d’emplacement de stationnement (Civ. 3ème, 12 juillet 1995, Loyers et copr. Nov. 1995, n° 484).

Si la destination de l’immeuble est mixte, le changement est plus souple mais encore faut-il respecter une destination par étages. Il se peut par exemple que seul le rez-de-chaussée soit affecté à un usage commercial. Dans ce cas, implanter une activité commerciale dans les étages est interdite (Civ. 3ème, n° 96-16.235, 20 mai 1998).

Il faut tenir compte du standing de l’immeuble. Le caractère de grand luxe d’un immeuble peut s’opposer à l’installation d’une salle de gymnastique (CA Aix-en- Provence, 25 février 1999).

  • Il faut d’autre part que le change- ment ne porte pas atteinte aux droits des autres copropriétaires.

L’interdiction peut être limitée en raison des troubles que peut créer l’installation nouvelle (nuisances sonores, olfactives...). 

De fréquents litiges visent les restaurants. Il faut vérifier s’ils peuvent créer des nuisances (Civ. 3ème, n° 99-20.511, 8 oct. 2003).

Des règlements interdisent toute activité pouvant créer des nuisances par le bruit ou l’odeur notamment. Cela peut par exemple s’opposer à l’installation d’activités cultuelles en raison des allées et venues que provoque le passage de nombreux fidèles (Civ. 3ème, n° 14-14.518, 16 sept. 2015).

Les charges

Le changement d’usage d’un lot peut avoir des conséquences sur la répartition de charges. Si une profession libérale s’installe dans l’étage d’un immeuble d’habitation, il en résultera sans doute par exemple un usage accru de l’ascenseur ; ce qui peut susciter une demande de changement de la répartition de cette dépense (Civ. 3ème, n° 00-10.476, 20 juin 2001). La décision est prise à la majorité de l’article 25 de la loi de 1965. Selon cet article, « Ne sont adoptées qu’à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant [...] La modification de la répartition des charges visées à l’alinéa 1er de l’article 10 ci-dessus rendue nécessaire par un changement de l’usage d’une ou plusieurs parties privatives ». Il s’agit des charges relatives aux services collectifs ou éléments d’équipement commun. Cette règle s’applique lorsque des locaux d’habitation sont transformés en locaux commerciaux ou professionnels (Civ. 3ème, n° 94-19.509, 17 juillet 1996, 20 juin 2001, précité). Elle s’applique également si le nouvel usage du lot était déjà prévu par le règlement (Civ. 3ème, n° 13-21.745, 1er octobre 2014). En revanche, elle ne vise que les charges spéciales et ne permet donc pas de modifier les charges générales (CA Paris, 15 oct. 2014). 

Les règles d’urbanisme et d’usage

Les règles d’urbanisme au sens strict, qui gouvernent l’usage d’un immeuble lors de la construction, permettent de passer de l’habitation à un usage professionnel ou commercial au moyen d’un permis de construire, s’il faut modifier les façades ou la structure du bâtiment, mais une déclaration préalable est suffisante s’il n’y a pas de modification de façade ou de structure. Il en est de même si seuls des travaux légers sont engagés, comme des déplacements de cloisons, le percement de murs intérieurs ou de planchers (Rép. min. N° 18462, 23 avril 2013). Mais les règles de changement d’usage sont bien plus contraignantes dans les communes visées par l’article L 631-7 du Code de la construction et de l’habitation : dans les communes de plus de 200000 habitants et celles des trois départements de la petite couronne d’Île-de-France, le changement d’usage est soumis à autorisation préalable. Elles peuvent être rendues applicables dans les autres communes sur proposition du maire (art. L 631-9 du CCH). Un local est réputé à usage d’habitation s’il était à cet usage au 1er janvier 1970. Une autre utilisation suppose donc une autorisation. L’autorisation repose sur un régime strict. Elle est accordée à titre personnel et prend donc fin si son titulaire cesse son activité. Toutefois, elle peut être subordonnées à une compensation sous forme de transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage (art. L 631-7-1 du CCH). Dans ce cas, l’autorisation est attachée au local.

En pratique, cette obligation fait obstacle à la plupart des transformations. Elle peut toutefois être intéressante dans le cas d’une restructuration globale d’un immeuble dans lequel une petite fraction n’aurait pas le droit d’usage à titre professionnel ou commercial et où obtenir le droit d’usage complet sur l’immeuble facilite la restructuration et l’usage futur de l’immeuble.

L’importance des exigences peut varier d’un secteur à l’autre. Ainsi à Paris, lorsque la transformation a lieu hors du secteur de compensation renforcée, il faut transformer en logement une surface identique à celle qui abandonne l’usage de logement, et dans le même arrondissement. Mais si la transformation a lieu dans un secteur de compensation renforcée, il faut effectuer une compensation de 2 m2 pour un m2 de logement supprimé.

Pour trouver une surface à transformer, il est possible de recourir à un bien que le propriétaire aurait déjà dans son patrimoine, mais il est plus fréquent de s’adresser à un autre propriétaire qui vend la commercialité de son bien. Le prix de ces transactions dépend du marché. A Paris, selon les services de la ville, la moyenne est de 1600€ le m2 avec des écarts importants de 400 € à 3000€ dans les arrondissements de l’ouest ou du centre de la capitale.

La loi admet certaines souplesses pour des cas spécifiques :

  • Une personne peut, sur autorisation du maire, exercer dans une partie de sa résidence principale une activité professionnelle ou commerciale sous réserve qu’il n’y ait pas d’interdiction résultant de la copropriété ni de nuisance (art. L 631-7-2 du CCH).
  • Un usage professionnel ou commercial est autorisé dans une partie d’un local d’habitation, si l’activité n’est exercée que par l’occupant qui y a sa résidence principale et sous réserve de ne recevoir ni marchandise ni clientèle et que le règlement de copropriété ou le bail ne s’y oppose pas (art. L 631-7-3 du CCH). Contrairement au cas précédent, une autorisation n’est pas requise.

Ce texte permet notamment le développement du télétravail mais ne permet pas à l’occupant de recevoir des salariés.La Cour de cassation a jugé par exemple qu’un locataire pouvait exercer une activité de styliste dans son logement. Le bailleur, qui avait demandé la résiliation du bail, a été débouté car l’activité ne supposait pas la réception de clientèle ou de marchandises et ne troublait pas la paix des habitants (Civ. 3ème, n° 02-12.476, 14 janvier 2004). Si le règlement de copropriété s’oppose à l’activité, l’occupant pourra toutefois domicilier une entreprise pour une durée limitée à 5 ans (art. L 123-11-1 du Code de commerce).

  • Pour le rez-de-chaussée, un usage professionnel ou commercial est autorisé, dans une partie d’un local d’habitation si le règlement ou le bail ne s’y oppose pas et qu’il n’en résulte pas de nuisance pour le voisinage. Ce cas est plus large que le précédent puisqu’il n’interdit pas d’y faire travailler des salariés et n’interdit pas non plus la réception de marchandise et de clientèle (art. L 631-7-4 du CCH).

S’agissant des formalités, la loi prévoit que si la demande de changement d’usage impose un permis de construire ou une déclaration préalable, la demande de permis de construire ou la déclaration préalable vaut demande de changement d’usage (art. L 631-8 du CCH). Les travaux ne peuvent être exécutés qu’après obtention de l’autorisation.

Les règles du bail

Le contrat de location est consenti pour une destination qui doit être respectée. Cette règle traditionnelle (art.1728 du Code civil) a par exemple pour effet qu’un bail consenti à usage d’habitation ne peut être utilisée professionnellement par un avocat ou un architecte (CA Paris, 29 novembre 1994). Mais il est possible de détenir des archives en dépôt sans que cela remette en cause la clause d’occupation bourgeoise (Civ. 3ème, n° 91-15.757, 24 nov. 1993). Si le preneur exerce une activité qui n’est pas autorisée par le bail, il encourt la résiliation du bail. (Civ. 3ème, n° 91-13.869, 21 juillet 1992, pour l’exercice d’une activité de confection de vêtements non autorisée). Mais la simple présence de machines à écrire, d’ordinateurs et d’une photocopieuse ne suffit pas à transformer des pièces d’habitation en bureaux (Civ. 3ème, n° 93-12.532, 20 juin 1995). Un autre arrêt a admis que le seul exercice de la profession d’assistante maternelle dans des lieux d’habitation ne peut constituer un motif sérieux et légitime de congé (CA Paris, 16 mai 1995).

On ne peut qu’inciter les propriétaires ainsi que leurs locataires à faire preuve de vigilance quant au respect de ces règles qui sont strictes. Les preuves de l’usage d’un bien et les autorisations qui ont pu être accordées doivent être conservées précieusement, ce qui peut être utile en cas de contentieux ou de vente. Il a par exemple été jugé qu’une erreur sur la qualification commerciale de locaux peut entrainer la nullité de la promesse de vente pour vice du consentement (CA Paris, 15 avril 2010).

Bertrand Desjuzeur, Journaliste

Source : 25 millions de propriétaires • N°558 janvier 2022

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